Nous avons appris tout récemment que les quantités de médicaments offerts par les Tunisiens en faveur de la population de Gaza sont considérables. Un particulier en a acheté, nous dit-on, pour 8 millions de nos millimes ; le don effectué par une pharmacienne de la banlieue sud de Tunis est évalué à plus de deux mille dinars ; un petit groupe de collégiens a collecté un demi-million, ce sont là quelques exemples pour illustrer l'esprit solidaire de nos compatriotes quand il s'agit de supporter concrètement la cause palestinienne. Cela dit, le même élan de générosité est perceptible dans les grandes manifestations nationales visant le soutien financier des projets en faveur des Tunisiens les plus nécessiteux. Par ailleurs, donner l'aumône est un geste quotidien chez nous, surtout que le nombre des mendiants est en inquiétante croissance dans nos villes. Pour les œuvres de bienfaisance organisées par les associations, elles sont régulières et permettent de financer plusieurs projets sociaux et humanitaires. Tout cela est merveilleux et donne de notre pays une image très reluisante. Seulement, nous devons nuancer les jugements pour rappeler que la générosité de certains n'est pas toujours spontanée et que parfois elle est mue par des intérêts sordides. On peut faire des dons de ce genre pour échapper au paiement de certaines charges fiscales, ou bien pour bénéficier d'une réduction dans les sommes dues à l'Etat, d'autres cherchent plus franchement à être exonérés de plus d'un impôt. En offrant « gracieusement » quelques centaines ou milliers de dinars, la petite, grande ou moyenne entreprise épargne, au pire des cas, le double ou le triple du montant cédé à titre de don. C'est comme lorsque certaines sociétés ou usines prétextent d'une extension de leurs ateliers pour échapper au fisc : comme quoi le projet vise à employer davantage d'ouvriers et contribue ainsi à la résorption du taux de chômage dans le pays. De telles pratiques astucieuses ont contaminé plusieurs professions libérales à tel point d'ailleurs qu'on se demande aujourd'hui si, en définitive, ce n'est pas une bonne chose déjà que ceux et celles qui les exercent fassent leur aumône de temps en temps en faveur d'autres Tunisiens, ou pour d'autres Arabes !
Au nom de l'amitié En fait et pour ne pas accabler des individus plus que d'autres, nous devons reconnaître que ces formes de charité et de solidarité intéressées sont plus généralisées qu'on ne le pense : que dire en effet de ces personnes qui, pour faire exaucer un de leurs vœux, se montrent plus prodigues que d'ordinaire avec les miséreux, offrent des banquets, promettent des offrandes à tel ou tel marabout ? Leur générosité n'est-elle pas subordonnée à la réalisation de leurs ambitions et de leurs désirs ? L'espoir d'une quelconque récompense sous-tend aujourd'hui la plupart de nos actions en apparence bénévoles. Quand un « ami » vous rend service « au nom de l'amitié », il faut s'attendre à ce que dans un avenir tout proche il vous demande un autre service en retour. Dernièrement, un citoyen a sollicité l'intervention d'un haut cadre municipal pour obtenir un document qu'il n'a pu obtenir par les voies normales ; alors notre fonctionnaire l'assura que le service serait rendu le plus tôt possible et que par son geste magnanime, il ne cherchait qu'à contenter Dieu. Quelle ne fut la surprise du citoyen lorsqu'il sut par la bouche d'un « adjoint » de ce cadre que l'amour du Bon Dieu en lequel croit ce dernier lui revenait à cent dinars. Le malheureux paya, la mort dans l'âme et la main sur le cœur, ce service et jura de ne plus demander l'aide « gratuite » de personne !
Arnaque universelle Le comble c'est quand un simple bonjour devient suspect : un Tunisien non averti vient d'en faire les frais. Il rentrait de son travail et à la station de métro, un jeune homme l'aborda pour lui apprendre qu'il était originaire de la même ville que lui, qu'il le connaissait parfaitement ainsi que tous les autres membres de sa famille, et il multiplia les évocations qui confirmaient ses dires. Son interlocuteur le salua alors plus chaleureusement et lui exprima sa joie de faire sa connaissance. Ils prirent ensemble le même métro et en cours de route le nouvel « ami » abonda en jérémiades et en lamentations et prétendit que son épouse souffrait d'une maladie chronique dont le coût lui devenait insupportable. Il finit, comme vous vous y attendiez sûrement, par demander au très cher concitoyen un petit « prêt » de 10 dinars qu'il rembourserait dès que possible. Demande que l'autre s'empressa de satisfaire sans trop se demander s'il reverrait un jour cet « ami »de la famille ! Qui de nos jours fait quoi que ce soit pour...rien ? Même les Etats entre eux, s'échangent ce mensonge universel ! Pour l'information, « rien » en latin signifie « quelque chose » ; il est donc tout à fait logique que quand on prétend vous rendre un service pour « rien », on attend de vous « le quelque chose » qui récompense ce service ! Mais si un commerçant vous affiche que ses articles valent « trois fois rien », attendez-vous à une triple arnaque !