Les rencontres-débats organisés il y a quelques jours au Collège International de Tunis autour du « malaise dans la liberté » donnent à réfléchir sur cette notion difficile à définir qu'est la liberté. Parmi les questions qui furent abordées par les participants, un sujet nous a interpellés plus que tous les autres : les progrès scientifiques et technologiques que les hommes réalisent jouent-ils un quelconque rôle dans leur émancipation ? La liberté des hommes est-elle tributaire du progrès matériel des individus ? Nul doute qu'on peut répondre par l'affirmative à ces deux questions. Toute découverte scientifique, technique ou autre est d'abord une victoire sur l'une de nos anciennes faiblesses; toute invention est une brèche ouverte dans le monde de mystères qui nous enveloppe. Triompher de notre ignorance est un autre acquis que l'on peut garantir en élargissant les champs de notre progrès. Les peuples du monde entier vivent aujourd'hui entourés de toutes sortes de réalisations dues à ces progrès et qui sont de plus en plus disponibles. Qu'on regarde un peu autour de nous pour constater que dans la majorité des familles tunisiennes, il ne reste plus un membre sans téléphone portable. Cet engin de communication offre à chacun une marge de liberté plus grande que le téléphone fixe de la maison ou du taxiphone d'à côté. On peut l'utiliser pour des appels confidentiels, pour écrire des messages interdits par d'autres voies ; pour savourer en solitaire sa musique de prédilection ; on peut l'éteindre ou le faire taire quand on veut ; répondre ou non à une communication ; laisser mariner un correspondant pour s'éterniser avec un autre. C'est un peu comme la commande d'une télé qui vous permet de voyager d'un satellite à l'autre et d'un canal à l'autre pour ne suivre que les programmes qui vous plaisent ou du moins ceux que vous avez choisis de regarder : parce que la liberté de choisir est essentielle en parlant des libertés particulières et non dans l'absolu. Sur les sites électroniques, on se sent également plus libres. Mais ce sentiment ne nous voile-t-il pas une forme grave d'aliénation ? Le cercle infernal de la consommation Nous ne parlerons pas de la dépendance à ces biens que nous constatons de plus en plus chez les jeunes et les moins jeunes des deux sexes. Mais surtout de dépendance d'ordre économique, culturel et politique. Concernant les téléphones portables, ils sont tous fabriqués par de grandes firmes internationales qui innovent chaque semaine dans les options de ces engins et créent chez les consommateurs un nouveau besoin d'actualisation. Cela fait que les « mobiles » ne tiennent pas plus de quelques mois chez leurs propriétaires lesquels se sentent désormais amoindris s'ils ne sont pas à la page. Mais comme chaque innovation se paie, le consommateur mordu va être amené à soutenir le rythme auquel vont les progrès à acquérir. Autrement dit, il lui faudra constamment changer d'appareil et payer une différence de prix à évaluer en fonction de la nouveauté introduite dans le téléphone acheté. Or à qui profitent toutes ces dépenses multipliées par centaines de millions ? Illusions et réveils douloureux A quelques grandes firmes capitalistes internationales gérées par des groupes de personnes dont le premier objectif est de dominer le marché, sinon d'y occuper une place parmi les plus puissants. Il n'est guère dans leur intérêt que de nouveaux promoteurs leur disputent cette place chèrement payée. Mais avec la mondialisation, force leur est de composer avec de petits capitalistes désireux à leur tour d'accéder aux premières loges. Les consommateurs-la première cible de nos promoteurs- croient tirer parti de cette lutte d'intérêts alors que, dans tous les cas, ils sont perdants. Avec le capitaliste occidental ou asiatique, ils seront toujours perçus comme l'unique victime aux dépens de laquelle se construiront les grosses fortunes. Ces maîtres de la technologie moderne diffuseront la culture qui leur rapportera le plus et de préférence la leur ; ils feront promouvoir via ces minuscules téléphones la langue qu'ils voudront et de préférence la leur ; ils soutiendront avec les capitaux entassés les pays et les politiques qu'ils voudront et de préférence les leurs. Ainsi de suite. Au final, et comme les pays en développement ou franchement sous-développés n'ont pas encore leurs fabricants de portables, ni d'ordinateurs, ni de téléviseurs, ni de consoles de jeux etc., les habitants de ces pays resteront encore à la merci des pays puissants qui leur vendent le progrès pour mieux les asservir ! Il leur reste néanmoins la possibilité d'utiliser le progrès occidental pour s'entretuer ! Et c'est encore tant mieux pour les maîtres du monde ! Dans le cas où l'on choisit de copier leur modèle de développement, il faudra d'abord qu'ils y consentent ; ensuite il faut pâtir de tous les travers de ce système, dont la crise mondiale que nous traînons depuis plus d'un an !