Le « consomnambule » est, vous vous en doutez bien, un mot-valise issu de notre imagination et que nous avons formé à partir de deux autres vocables faciles à deviner. En revanche, le type social qu'il désigne, homme ou femme, existe bel et bien autour de vous et vous en croisez peut-être des centaines, voire des milliers de spécimens, chaque jour ! Il se peut même que nous soyons tous des « consomnambules » qui s'ignorent. A quoi donc reconnaît-on ce citoyen si présent dans notre quotidien ? Tout d'abord à des signes extérieurs qui, au marché, devant les vitrines des magasins, et en face de n'importe quel produit de consommation, l'apparentent à une personne hypnotisée, ivre d'achats, obnubilée par les boniments et les images publicitaires, incapable de mesure et de retenue en matière de dépenses, imperméable à l'idée d'économie et d'épargne, inconscient de ses droits et de ses devoirs de consommateur. Monsieur et Madame « Wakkel », nos voisins de palier, illustrent à merveille ce type d'individu que l'on côtoie de plus en plus partout où l'on va ! Le plus malheureux dans l'affaire, c'est qu'ils ont transmis leur somnambulisme particulier à leur progéniture et celle-ci en a contaminé bien des enfants de l'immeuble, du quartier et de la ville. Chasseurs de superflu ! Tout récemment, et à l'occasion de l'installation en Tunisie d'un nouvel opérateur de téléphonie mobile, les membres de la famille Wakkel, qui déjà ont chacun deux lignes téléphoniques et trois portables, furent tous pris d'une envie irrésistible : celle de devenir des abonnés de la nouvelle société et de se procurer les appareils que celle-ci « offre » à ses clients contre une modique somme d'argent. En moins d'une semaine, ils calmèrent la démangeaison et encombrèrent de leurs nouveaux engins la réserve familiale d'objets superflus. Aux dernières nouvelles, les Wakkel se sont abandonnés à une nouvelle frénésie, celle de changer tous les trimestres ou semestres de téléviseur, de récepteur, de chaîne-stéréo, de DVD, d'ordinateur, de machine à laver, de réfrigérateur et de climatiseur. On raconte aussi que Mme Wakkel est sur une affaire en or, ces derniers jours : elle s'apprête en effet à acquérir un nouveau salon qui remplacerait celui, démodé, d'il y a deux ans ! Insensibles à l'arnaque Quand il fait les courses au marché, son mari -qui ne gagne pas plus qu'elle ni davantage que les autres fonctionnaires moyens du pays- n'aime pas donner l'air d'être près de ses sous : il ne compare ni ne discute les prix, ne jette pas le moindre coup d'œil sur la balance du marchand, n'évalue pas la qualité des produits qu'on lui sert et encore moins les quantités qui lui en sont indispensables. La vente conditionnelle ne le dérange pas ; lui sont également indifférents les commerçants qui n'affichent pas leurs prix, ceux qui ne respectent pas les règles de conservation des produits altérables et les marchands aux mains sales (dans le double sens de l'expression). Il y a quelques mois, il s'est acheté à plus de 400 dinars un chauffe-bain de marque qu'il dut ramener trois fois chez le revendeur pour un bizarre dysfonctionnement. Au lieu d'exiger un nouvel appareil en bon état, il se contenta des « réparations » effectuées sur son engin lequel trahit encore la même défectuosité. En désespoir de cause et par peur de trop importuner son fournisseur, il résolut de garder le chauffe-bain juste pour ne pas suivre le conseil de son voisin qui n'arrêtait pas de lui vanter les avantages du chauffe-eau solaire ! Gaspilleurs invétérés Il n'aime pas non plus qu'on lui parle des ampoules économiques, ni des frigos qui consomment moins d'énergie électrique, ni des robinets à débit contrôlable. Il prend sa voiture pour aller à la grande surface d'à côté et au café du coin. Son épouse adore conduire aux heures de pointe et fait le plein à crédit plus d'une fois par semaine. En matière de crédits justement, les Wakkel en sont, ces cinq derniers mois, à leur dixième emprunt. Leurs enfants aussi ont des impayés chez l'épicier, le centre de publinet, le pâtissier, le gargotier, le magasin de prêt-à-porter, le professeur des cours particuliers et le loueur de consoles de jeux et de CD ! Ces adolescents n'éteignent jamais la lumière de leurs chambres en en sortant, sont aussi distraits avec l'eau des robinets, oublient souvent de fermer la porte du réfrigérateur, se soucient peu du nombre d'engins électriques qu'ils actionnent en même temps et mangent ce qu'il ne faut pas, quand il ne faut pas et dans les quantités les moins recommandées. Ainsi va le monde pour les Wakkel qui ne se plaignent guère de leur somnambulisme ; du moins tant qu'ils ne s'en réveillent pas devant un huissier-notaire !