Peut-être que le cerveau humain n'a pas la capacité d'expliquer tout cela, peut-être qu'il y a un maillon qui manque à la chaîne, qui soit susceptible de faire lien, pour permettre un quelconque recoupement un tant soit peu rationnel, avec la réalité, pour donner chair et corps à ce qui est du domaine de l'immatériel, qui relève de l'abstraction, et sur lequel on n'a pas encore de véritable prise. Beaucoup de « peut-être » qui n'expriment qu'une chose : le désarroi des humains face à des phénomènes qu'ils ne parviennent pas à expliquer. Et qu'ils intègrent, ou rejettent, bon gré, mal gré, en attendant que cela passe. Ou que cela casse. Les risques et périls c'est d'être « attaqué » sur le terrain des superstitions, et pointé du doigt comme une erreur de la nature, qu'il convient de rectifier au plus vite, ou d'être regardé avec une pitié condescendante, comme on se penche sans tendresse sur un malade qui aurait été lui-même la source de son mal, d'un œil inquisiteur, et dans une seconde étape, clairement réprobateur. Mais le fait est là : dans notre société, tout comme dans toute société, la part de superstition existe, qui sert d'exutoire à la peur du vide, qui habite chacun de nous, et comme une manière de combler une béance en forme de point d'interrogation géant, lequel se dresse au bord du précipice ouvert sur toutes nos incertitudes. Alors on s'accroche à tout, et peut-être à n'importe quoi, selon que l'on y croit ou pas, en attendant que tout cela se décante. A la vérité, on peut y croire et ne pas l'avouer. Mais il suffit d'aller visiter une « Zaouia » (un marabout), intra-muros, pour se rendre compte qu'on y croit toujours, dur comme fer, chacun à sa mesure, et que seuls les mots pour l'expliquer diffèrent. Et aussi la manière de gérer tout cela. Est-ce une façon d'être « apostat » sans en avoir la pleine conscience ? Rien n'est moins sûr. Même si la confusion peut régner dans les esprits, par rapport à la quasi- sacralisation des marabouts en question, lesquels n'ont rien demandé à personne. Au lendemain de l'indépendance du pays, certains sociologues ont tenté d'expliquer cela par l'acculturation des masses par un colonisateur, qui aurait encouragé cette tendance-là, pour occuper les esprits, et les détourner de l'essentiel. Mais c'est oublier que les vécus, et les cheminements intérieurs sont toujours différents. Et qu'il y a forcément quelque part, les raisons d'y croire aussi fort, pour que les générations se transmettent ce « legs » comme un héritage précieux, qu'on ne sacrifierait pour rien au monde. En ne renonçant pas à ces pratiques, jugées d'un autre monde par tous ceux qui n'acceptent pas que l'au-delà se mêle à nos destinées, et vienne bouleverser nos vies. Par-delà le bien et le mal… Voici le témoignage d'une jeune femme, qui n'a jamais cru à ces histoires là, n'y adhère pas, et qui a eu un jour la surprise de sa vie, et comme le sentiment d'avoir quelque part, raté quelque chose. Un détail, qui ferait la différence. Parce qu'aujourd'hui en son âme et conscience, elle n'en revient pas. Et ne peut plus jurer de rien. « J'avais un collègue de travail qui frôlait la soixantaine. Je savais qu'il était adepte du fameux « Hizb » de Sidi Belhassen, parce qu'on en avait parlé auparavant. Et justement il m'avait fait part un jour, de son désir d'aller là-bas, pour se recueillir. Nous étions en début de semaine. Et le lendemain il n'est pas venu au travail, et on a appris qu'il avait été opéré la veille en urgence, pour une hernie discale qui avait dégénérée. Et qu'il était entre la vie et la mort. Alors le samedi, jour du « Hizb », je suis allée au mausolée et la première pensée que j'ai eu en y entrant, ça a été pour lui. Ma première prière aussi. Trois semaines après, notre collègue était de retour. Après l'avoir salué, j'allais lui dire que j'avais fait le rituel à sa place, mais avant que je ne prononce le premier mot il m'a dit : « je sais. Tu n'as pas besoin de me raconter. J'étais sur mon lit d'hôpital en réanimation, et je t'ai vu entrer à Sidi Belhassen, te diriger vers le côté gauche de la porte qui accède au sanctuaire, et prier pour moi ». Il m'a même parlé de la tenue de la femme qui était juste devant moi. Sincèrement ça m'a fait un choc. Après cela, je n'ai plus vu les choses de la même façon. Du tout… » Les anecdotes sont légion. Et les raisons d'y croire aussi. Comme le contraire est tout aussi vrai pour ceux qui n'y croient pas. Et ne peuvent y croire parce qu'ils n'ont pas eu, la révélation ?