C'est en traversant le petit pont près de chez moi, pour aller rejoindre mon travail comme un grand, que mon attention fut attirée par une créature dont j'ai oublié l'existence à force de vivre reclus dans cette cité où il y a très peu de place pour d'autres créatures à part les humains et les voitures. Ne riez pas, je viens de rencontrer un très joli papillon rouge d'une taille assez considérable et qui me sentant approcher exécuta ce petit vol à l'itinéraire toujours improvisé propre à son espèce. Un papillon ne vole jamais droit, ne vit qu'une seule journée dans la plupart des cas. Il va de fleur en fleur se désaltérant de leur élixir ce qui selon certains lui font faire ces drôles de pirouettes jamais répétées et légèrement titubantes. De fleur en fleur, le papillon passe toute sa courte vie en état d'ivresse. Ivresse de vie. Courte, qu'à cela ne tienne... mais pleine de plaisir et de liberté. Il ne tombe pas malade, personne ne l'arrête pour conduite en état d'ivresse. Il n'a pas de patron, pas d'enfants à charge, pas d'amis ni d'ennemis, pas d'armes, pas de larmes. Il ne chante pas, ne crie pas, ne revendique rien et ne se plaint jamais. Il est généralement beau, ses ailes sont ornées de jolies couleurs, son envol est d'une douceur apaisante. Il est aimé par les enfants, aimé par les peintres et par les... collectionneurs de papillons mais il s'en fout. Il n'a aucun contact avec les membres d'une autre espèce vivante. L'on peut se demander même s'il en a avec ceux de son espèce. C'est un parfait solitaire, amoureux des fleurs et perpétuellement ivre de vie. J'ai aimé ce papillon parce que c'était pour moi une nouvelle façon de découvrir la vie, d'être surpris par la magie de la vie, d'aimer la vie à un âge où tout commence à lâcher à petit feu, où l'on a plus que peu d'ambition parce que les jeux sont faits, où l'on n'a plus de rêve de jeunesse puisqu'on n'est plus jeune, ni de passion folle puisqu'on s'est assagi, où l'on pense de plus en plus à la mort et à la maladie à notre insu, où l'on commence à se demander sérieusement si une vie courte et belle de papillon ne vaut pas mieux que la vie pesante et désespérante de la majorité des humains. Les cités, les mégapoles et la soif de destruction des humains ont fini par réduire l'immensité, et la beauté de la nature à un petit enclos, une sorte de réserves pour indiens finissants. Boutez les humains et leurs voitures hors de ces villes les bêtes sauvages reviendront, peut-être, reconquérir leur droit de cité. .... Oh, excusez-moi, Toute cette diatribe pour un petit papillon que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam. Je déraille !