En début d'année, le secrétariat d'Etat à de la coopération et à la francophonie avait lancé le concours Francomot : élèves et étudiants étaient invités à adresser par voie électronique des traductions innovantes pour cinq termes anglophones couramment utilisés en français : chat, talk, tuning, buzz et newsletter. Les résultats viennent d'être rendus publics par un jury d'une dizaine de personnalités, dont les chanteurs MC Solaar et Sapho. Pour le tuning, activité qui consiste à personnaliser sa voiture, le mot lauréat est bolidage qui a été préféré à autodéco, persoptimisation, automotif, autostyle, persauto ou revoiturage. Pour le mot chat, le jury a eu du mal à trancher et a retenu deux expressions : éblabla et tchatche. La newsletter s'est francisée en infolettre qui a facilement distancé inforiel, jourriel, journiel et le néanmoins joli niouzlettre. L'expression talk est tout simplement remplacée par débat, plus clair que d'autres suggestions : parlage, débadidé, débatel ou encore débafusion. Enfin, buzz (littéralement bourdonnement) devra être remplacé par ramdam, dérivé de l'arabe ramadan dont il évoque l'intense activité nocturne qui suit les journées de jeûne. Etaient aussi proposés : actuphène, bruip, échoweb, ibang et réseaunance. L'usage décidera du succès ou de l'échec des suggestions. Pour l'instant, c'est l'invitation à créer des mots pour résister aux anglicismes qui retient l'attention. Linguistes et historiens savent bien que le phénomène de l'emprunt entre langues est une constante et aussi un besoin : aucune langue vivante ne se développe dans l'isolement. C'est plus vrai encore quand les contacts et les changements techniques se multiplient. De l'ancien français au français actuel, le lexique accumule par vagues successives un peu de germanique, puis du latin d'église, du grec ancien et de l'italien à la Renaissance, de l'espagnol et enfin de l'anglais. Le recours à d'autres langues, l'arabe, les parlés allemands et slaves, est plus modeste. Dans cette lente évolution, l'influence de l'anglais reste d'abord discrète et, longtemps, c'est même le français qui exporte des mots vers l'Angleterre plutôt que l'inverse. Avant d'ailleurs que certains de ces mots ne soient réintroduits en français avec un changement de sens. Marketing ou parlement, par exemple. Voltaire a été un grand importateur d'anglicismes au motif qu'il fallait «reprendre notre bien». La crainte que la langue française perde son identité par accumulation de termes allogènes n'est pas toute récente. A la fin du seizième siècle, le mélancolique Henri Estienne, philologue et imprimeur, discréditait déjà les italianismes comme une maladie du français. Cependant, parmi les emprunts que le français peut faire à d'autres langues, l'anglo-américain occupe aujourd'hui une place particulière : il s'agit d'emprunts nombreux à une langue dominante sur le plan militaire, économique, médiatique... De ce fait, sa perception est radicalement différente de celle que le locuteur français peut avoir de tout autre emprunt. C'est assurément Etiemble avec Parlez-vous franglais ? en 1964 qui a porté cette inquiétude au plus haut dans une vigoureuse polémique contre le babélien, cette langue qui s'alimente par la destruction de toutes les autres et se renouvelle au rythme de la production d'objets modernes. Le succès de l'ouvrage masque malheureusement le talent et l'esprit d'ouverture d'Etiemble, ami de Taha Hussein, pionnier de la littérature comparée, lecteur attentif et précoce d'Ibn Khaldûn, fin connaisseur de la Chine et de ses relations avec l'Europe.