N'hésitons pas à changer la formule du cogito ergo sum ou le célèbre « je pense donc je suis » cartésien au nom de l'émotion. Emouvoir, s'émouvoir, donner de l'émotion, en avoir aussi est devenu la perle rare que certains oublient même de chercher dans l'huitre ! Nous n'avons plus le temps de penser à cela ! Plus le temps de vibrer, ni de lever la tête vers le ciel pour s'émerveiller de la dernière nébuleuse. La nuée chantée par bien des poètes est devenue en ces temps de l'exactitude scientifique, contre laquelle nous n'avons rien pourvu qu'elle ne nous envahisse pas, cette somme de mots aussi hermétiques les uns que les autres : « stratus, nimbus, cumulus, cirrus ». Le ciel moutonné (c'est-à-dire couvert de petits nuages blancs) n'étonne plus que ceux qui sont encore en âge de s'étonner à savoir les enfants. Dans L'esquisse d'une théorie des émotions, l'auteur de la Nausée, Jean Paul Sartre présentait le sujet en question en ces termes : « Nous appellerons émotion une chute brusque de la conscience dans le magique ». Si l'émotion est une chute brusque comme le dit J.P.S. on se demande dès lors pourquoi le monde ne veut plus se laisser choir ? Pourquoi les uns et les autres refusent ils de se laisser entrainer ? Le besoin de tout contrôler aussi utopique soit-il domine t-il cette époque où apprendre la maîtrise de soi l'emporte sur le sens du partage ? Prendre le temps d'être, le temps de vivre, de découvrir les plus simples choses de la vie est-il aujourd'hui synonyme d'oisiveté culpabilisante? L'homme est devenu traqué par son frère l'homme et ce jusque dans ses rêves. Peur de « lâcher prise », peur de « lever le pied » et de perdre son poste ou sa place, peur de se laisser aller à une nouvelle amitié ou amours. Le large n'attire plus que ceux qui sont assoiffés de partance, n'en déplaise à cette société ou les rêves de départ passent d'abord par les agences de voyage. S'émouvoir c'est se mettre en mouvement, exister par sa capacité propre, par son corps et son âme. S'émouvoir c'est « s'égarer » et là est tout le mérite de l'émotion comme le dit Oscar Wilde. N'est-il pas bien ennuyeux de vivre sans se perdre dans des ruelles méconnues, les siennes propres d'abord ? Parfois il suffit de peu pour écrire un poème, de si peu pour revoir l'horizon ou entendre battre un cœur que l'on croyait muet à jamais. Parfois il suffit de rien, d'une goutte d'eau pour rêver de la pluie, d'un rayon de soleil pour sentir le printemps, d'un sourire pour savoir que tout est encore possible et envisageable, pour aimer être sur terre, vivant et capable d'émotion. «N'oublions pas» comme le disait Van Gogh que «les petites émotions sont les grands capitaines de nos vies et qu'à celle-là nous y obéissons sans le savoir».