Pas de chance pour Berlusconi, après les juges « de gauche », voilà que des cinéastes s'y mettent pour saper les fondements d'un système qu'il a mis des années à édifier. Pourtant il semblait avoir fait le plus dur en mettant presse et télévision à sa botte. C'était sans compter sans les ressorts politiques du septième art surtout dans un pays comme l'Italie où le cinéma a rarement été du côté de l'ordre établi. Et c'est un euphémisme. Mais voilà l'Italie de Berlusconi semble avoir fait fi de sa mémoire et de son histoire grâce notamment à une machine médiatique à l'efficacité redoutable qui conquis les cœurs et les esprits et fait de Berlusconi l'idole d'une majorité d'italiens qui l'ont reconduit démocratiquement au pouvoir après l'intermède de la coalition de gauche menée par Prodi. « Draquila » de Sabina Guzzanti a été précédé d'une polémique à l'origine des quasi émeutes qui ont précédé sa projection hier (13 mai) à Cannes. En guise de protestation contre son caractère « attentatoire » à l'image du « Condottiere », l'Italie a décidé de boycotter le festival, quelques jours avant son démarrage. Cinéaste citoyenne, Sabina Guzzanti entreprend de démonter dans «Draquila» le système Berlusconi en prenant pour point de départ la gestion de l'après séisme qui a frappé la ville de l'Aquila en Avril 2009. La réalisatrice montre de quelle manière, cette catastrophe naturelle va contribuer à l'enrichissement d'entrepreneurs privés grâce à des transferts de fonds publics destinés à la réhabilitation de la ville. Le système est simple : Le centre historique est mis en quarantaine, les habitants parqués dans des tentes ou dans des hôtels éloignés de la ville pour les plus chanceux, moyennant la promesse de maisons neuves octroyées gracieusement par l'Etat aux victimes de la catastrophe dans un délai fixé par le « Prémier » à cinq mois. En apparence rien d'anormal dans cette entreprise, sauf que l'on construit beaucoup plus de maisons qu'il n'en faut, à des prix exorbitants et on interdit aux sinistrés qui le désirent de réparer leurs maisons. Le tout est financé par des fonds publics selon un procédé plutôt bien rôdé nous informe le documentaire, en vertu duquel à chaque catastrophe naturelle, l'Etat italien s'empresse de commander de nouveaux bâtiments -beaucoup plus qu'il n'en faut-. Ces chantiers sont supervisés par la « Protection civile » véritable Etat dans l'Etat sur laquelle règne en potentat incontesté un certain Bertolaso, protégé de Berlusconi. La protection civile est investie des pleins pouvoirs dans les régions frappées par des catastrophes en vertu d'une loi sur « les situations d'urgence ». Un amendement de cette loi sous le gouvernement Berlusconi a permis d'élargir le champ d'action de ladite loi aux événements exceptionnels, appellation suffisamment vague, pour que le pouvoir puisse y inclure aussi bien le championnat d'Europe de natation, la béatification de mère Térésa ou l'organisation du G8. Cet amendement de la loi portant sur les situations d'urgence fait donc de la protection civile le paravent légal à de vastes opérations de transfert de fonds publics vers des intérêts privés moyennant la protection d'élus locaux et de fonctionnaires corrompus. « Draquila » démonte la machine de guerre berlusconienne qui se nourrit du sang des italiens (d'où le jeu de mots qui donne à ce documentaire son titre) avec panache et humour à la manière d'un Michael Moore croquant Bush à pleine dents. Sabina Guzzanti n'oublie pas que Berlusconi est qu'on le veuille ou non a été élu démocratiquement, et qu'il bénéficie auprès d'une partie des italiens d'une popularité indiscutable que les propos de certains sinistrés de l'Aquila met bien en évidence ; les frasques sexuelles du condottiere : « c'est normal ! C'est un homme ! Vous voulez une frappe à la tête de l'Etat?»; la corruption de certains de ses proches ? « Un complot ourdi par les médias ». C'est du côté de la propagande que la réalisatrice est allée chercher pour expliquer cette « cécité » volontaire d'une majorité de ses compatriotes. Le film aurait gagné en consistance et en force de conviction si cette piste avait été creusée plus sérieusement. C'est en effet à ce niveau que le bât blesse ; A trop vouloir jouer la légèreté et de surfer sur une cause gagnée d'avance, « l'anti-berlusconisme » relève d'une évidence en dehors des frontières de l'Italie, Sabina Guzzanti condamne son film à rester à la surface des choses en flirtant par moments avec la démagogie par le biais du recours à des procédés télévisuels douteux. Un film utile politiquement, au moment où le cinéma reste un des rares champs de la société italienne où la dissidence est encore possible. Pour l'art et la démarche documentaire il faudra repasser.