Tel un pied-de-nez à la crise qui déferle sur l'Europe et une bonne partie du monde, la Croisette a vécu, avec l'entrée en lice de Tournée, le film français signé Mathieu Almaric, un déferlement burlesque où la fantaisie le dispute au fantasmagorique. Déjà lors de la montée des marches de l'équipe du film, qui a donné le coup d'envoi de la sélection officielle du 63e Festival international de Cannes, la foule compacte, amassée devant la mythique salle «Louis-Lumière» n'en croyait pas ses yeux : des strip-teaseuses façon fellinienne ont enflammé l'ambiance, créant le show grâce à leur accoutrement et leur déchaînement sur le tapis rouge, faisant le bonheur des centaines de photographes et de cameramen agglutinés des deux côtés des marches. Car, il se passait vraiment quelque chose, il y avait de l'électricité et de la bonne humeur dans l'air, voilà qui a changé les badauds et les festivaliers cannois de ces montées classiques et guindées. Et le show n'était qu'un avant-goût de ce que raconte le film : une troupe de strip-teaseuses américaines du cabaret new-burlesque (genre né dans le milieu des années 90 et qui revisite le burlesque) sont en tournée dans la province française grâce à un ancien producteur de télé reconverti dans le spectacle. Joachim, qui a tout plaqué pour repartir à zéro en Amérique à l'aube de ses 40 ans. Il revient en tournée avec ses strip-teaseuses qui ont fait fantasmer la France. Paris‑! De port en port, l'humour des numéros et les rondeurs des filles enthousiasment hommes et femmes. Et malgré les hôtels impersonnels, leurs musiques d'ascenseur et le manque d'argent, les showgirls inventent un monde extravagant de fantaisie, de chaleur et de fêtes. Mais, il y a toujours un mais, leur rêve d'achever la tournée en apothéose à Paris se brise en éclats. Les plaies du passé, de Joaquim, producteur à la fois flamboyant et mélancolique, interprété par la réalisateur lui-même, se rouvrent violemment… Entre fiction et documentaire (une véritable tournée ayant été organisée pour la production), le film se sert des performances des showgirls pour construire au fur et à mesure les personnages attachants et à contre-emploi car plutôt en chair qu'en os, donnant corps à une comédie douce-amère où le monde du spectacle est dépeint de manière satirique. Rattrapé par les drames de la vie Mais ce moment de fantaisie burlesque sera de courte durée pour le public cannois, rapidement rattrapé par les drames sociaux et politiques de la vie. Car, le deuxième film en compétition, Chongquing blues, du réalisateur chinois Wang Xiaoshuai, se focalise, lui, sur un drame inspiré d'un fait divers qui s'est réellement produit dans un magasin Carrefour en Chine. La fable‑: le fils d'un capitaine de bateau, Lin, rentrant après six mois en mer, apprend la mort de son fils abattu par la police parce qu'il retenait une jeune femme en otage. Le père, désespéré, s'aperçoit qu'il connaissait peu son enfant et comprend combien son absence lui a pesé. L'incommunicabilité, la non-expression, voilà des sentiments propres à la société chinoise‑: «Chez nous, on ne s'embrasse pas entre membres d'une même famille, tout est dans la ‘‘non-expression''. D'où la difficulté de partage», a affirmé le réalisateur chinois. Le film est sobre, merveilleusement interprété par Wang Xuequi, un acteur remarquable, au jeu intériorisé, d'autant qu'il joue le rôle d'un père qui ne sait pas exprimer ses sentiments ni ses émotions. Pour comprendre, Lin va essayer de saisir les raisons du drame, une manière de se réapproprier post-mortem l'enfant qu'il a perdu. En hors compétition, est programmé dans la section «Séances spéciales» Draquila de l'Italienne Sabian Guzaniti, documentariste que la critique à Cannes n'hésite pas à désigner comme «la Michael Moore italienne». Chronique acerbe montrant la façon dont le tremblement de terre qui a dévasté, en avril 2009, la ville de l'Aquila, a été utilisé à des fins de propagande politique par le gouvernement italien. Le documentaire s'interroge : pourquoi les victimes de la catastrophe continuent de voter encore et toujours pour Berlusconi tout en démontant le système de collusion entre milieux politique et des affaires. D'ailleurs, cet opus a créé une polémique‑: le ministre de la Culture italien, Sandro Bonely, ayant décidé le boycott de «Cannes» en guise de protestation. La réalisatrice, elle, n'en a cure, déclarant que «cette polémique n'a aucun sens, puisque ses détracteurs n'ont pas encore vu le film». A suivre donc.