Il incarnait l'idée d'une certaine Amérique, à contre-courant : celle qui refuse de se voiler la face, et se fout complètement de ce qui lui en coûte d'être, et de demeurer en marge, d'un système intraitable, qui ne pardonne pas les « écarts » quand ils sont synonymes de liberté. Et Dennis Hopper avait refusé, d'emblée, d'être un « mouton de Panurge ». Ce qui correspond à un suicide dans le milieu du cinéma hollywoodien où sa passion l'avait mené, et d'où son caractère intempestif, l'avait banni. Il n'était pas du genre à se laisser passer la bride au cou. Dennis Hopper, acteur et réalisateur américain, qui était également peintre, photographe, et collectionneur, est décédé le samedi 29 mai à l'âge de 74 ans. En léguant à la postérité, une œuvre protéiforme, où se lit, comme dans un livre sur sa vie, son amour intense pour les arts, chevillé à celui qu'il a voué à un cinéma, qui l'adula et le honnit au gré des circonstances et des époques, l'accueillit comme un enfant prodigue et l'exila comme un « pestiféré » pour ce qu'il représentait à un certain moment, d'une contre-culture américaine que l'Amérique bien- pensante abhorrait. Mais s'il eût ses « creux de la vague », s'il fut l'otage, à des moments charnières de son existence d'acteur, de l'alcool et de la drogue, Dennis Hopper sut incarner, aux antipodes de ses personnages blessés et décatis à l'écran, et combien même la vie lui infligea quelques blessures mémorables, l'image d'un « miraculé » qui a su transformer ses faiblesses en force, et retrouver à chaque fois, un second souffle, un nouvel élan pour rebondir, et tout recommencer. Sa trajectoire filmique ressemble en quelque sorte à sa vie : fragmentée et houleuse, calme par moments même si cela ne dure pas trop longtemps, et faite d'intermittences et de silences. Mais de ces silences « habités », qui lui permettent d'investir un personnage ou l'autre, la blancheur immaculée d'une toile, ou l'objectif d'un appareil photo, pour donner de la beauté. Celle qui nait d'un mélange conjugué de générosité de cœur et de talent, ainsi que d'une inextinguible soif d'exprimer, face à une caméra dont il dompte avec son regard bleu et doux, toute velléité de haine, la diversité de la palette de ses émotions, sur le fil du rasoir, jamais pathétique. Bouleversant, oui. Et si cela ne marche pas à tous les coups, c'est que la rencontre ne devait pas encore avoir lieu. Elle aura lieu plus tard. Une autre fois peut-être, ou sûrement. Et ça sera la bonne. Que retenir de lui ? « La fureur de vivre » de ses débuts, avec la compagnie de James Dean devenu très vite son ami ? « Easy Rider », film-culte s'il en est, qu'il réalisa et interpréta ; symbole même de ce nouvel Hollywood qui reprend tous les clichés à rebrousse-poil en parcourant l'Amérique –celle qu'on ne montrait pas- comme pour lui rendre justice et hommage ? Ou encore « Apocalypse Now », « Blue Velvet », « The Blackout »…, et bien d'autres encore. Plus souvent devant, que derrière la caméra, avec des traversées de désert, brûlantes et sèches, avant que la reconnaissance, fut-elle tardive ne vienne lui monter les larmes aux yeux ? Le triomphe de « Easy Rider » en 1969, l'exposition à lui consacrée, à la Cinémathèque française en octobre 2008, intitulée : « Dennis Hopper et le Nouvel Hollywood », et qui fut un succès retentissant, ses empreintes qu'il pose, sur Hollywood Boulevard, quelques temps avant sa mort, et ses multiples vies, éclatées et si riches, à l'image même de sa collection de peinture, où se retrouve sa passion pour les arts et ses amitiés (Warhol, Basquiat, Schnabel etc), tout cela rend la mesure, d'une certaine manière, de ce qu'il fut : un acteur génial, un cinéaste libre, autant qu'un immense artiste. Sur son blog daté du 11 octobre 2008, Serge Toubiana, directeur de la Cinémathèque française, à l'origine de l'exposition qui lui fut consacré, dira en substance : « Cette exposition témoigne, œuvres et preuves à l'appui, d'une capacité inouïe de vivre et de survivre, porté par une force intérieure que cet homme a su calmer, endiguer, pour la mettre au service de son art… » Le samedi 29 mai au soir, toujours sur son blog, Toubiana signera un très bel hommage à « L'Ami américain ». Avant de quitter la pièce…