S'y perdre pour mieux se retrouver. Un peu comme on s'évade dans ses rêves, dans des lieux connus ou inconnus tentant de trouver, en arpentant inlassablement des chemins insoupçonnés, ce qui fait l'âme d'une ville, son pouls, et son cœur battant. Et Kairouan est riche d'histoire, qui a inspiré ce très bel ouvrage, sorti aux éditions Apollonia, fuit d'une déambulation nostalgico-historique de Mohammed Kerrou qui en a signé le texte, accompagné des photographies de Mohamed Sakli, qui sertissent le joyau comme les perles d'une couronne. Ainsi le voyageur solitaire qui part à la découverte de ce lien de spiritualité et de lumière, n'aura pas seulement en tête, le souvenir de Paul Klee, et de tous ces autres peintres éblouis par tant de clarté, et qui en ont conservé le souvenir longtemps après l'avoir quittée, traquant au cœur de leurs toiles ces vibrations chromatiques qui les ont ému, et dont le mystère n'a eu de cesse de nourrir leur enchantement, mais aussi celui de tous ces conquérants illustres, qui ont établi la ville de Kairouan, cette « Qayrawane » difficilement accessible de prime abord, jusqu'à ce que Okba ibn Nafâ n'investisse les lieux, à la tête de son armée, et ne fasse tomber toute résistance. Par la suite, devenue capitale régionale de l'Islam, Kairouan, grâce à une succession de métamorphoses, et au génie architectural de l'époque auquel l'on doit notamment l'édification de la Grande Mosquée, devint le passage obligé de tous ceux pour qui, et jusqu'au jour d'aujourd'hui, où pourtant la ville ne peut plus se targuer véritablement de sa splendeur d'antan, elle continue d'être ce havre de paix et de douceur où la modernité et tout le cortège des transformations qui l'ont ancrée de plain-pied dans la contemporanéité, n'ont pu en altérer l'aura ni la délester de ce qui fait sa particularité, son charme et son identité étroitement imbriquée à la part de spiritualité qui est la sienne. De ses mausolées, de sa médina ancestrale, de sa grande mosquée, s'échappe comme un parfum de nostalgie. « Phare éternel de l'Islam », elle l'est assurément pour comprendre ce sentiment étrange qui s'empare du visiteur de passage, à l'instant même où ses pieds foulent ses vieux pavés, il ne faut pas hésiter à s'y promener la nuit, sans crainte de s'y perdre, ou bien choisir de s'y rendre à la fête du Mouled, où la ville se pare de ses plus beaux habits de lumière, résonne de mille et une liturgies, ouvrant les bras à tous ceux qui, étrangers à la ville mais venus en amis, se mêlent à la foule, se joignent au chœur de la fête, quadrillent ces souks bigarrés et bruissants de vie, dégustent un « maqroudh » à la douceur exquise, caressent un tapis d'une main, lèvent les yeux sur la sensualité d'une coupole crevélée, avant de se diriger d'un pas assuré vers la grande mosquée, y chercher un surplus d'apaisement… Articulé en quinze chapitres, l'ouvrage : « Kairouan – phare éternel de l'Islam », se clôt sur une citation de Georges Perec, choisie par Mohamed Kerrou, parce qu'elle fait résonance à son sentiment intérieur : « L'espace fond comme le sable coule entre les doigts. Le temps l'emporte et ne m'en laisse que des lambeaux informes. Ecrire, essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose, arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marge ou quelques signes »… Samia HARRAR