L'accusé se leva, du banc des accusés, où il attendit un bon moment avant d'être appelé à la barre, le président du tribunal ayant mis beaucoup de temps pour lire à haute voix l'acte d'accusation le concernant. Les faits étaient relatés avec les menus détails par l'arrêté de la chambre d'accusation. "A neuf heures du soir, le 31 janvier 19... Larbi était allé chez son patron qui l'avait invité à dîner. Il avait même, tel qu'il l'avait confirmé , amené avec lui deux bouteilles de rosé, pour accompagner les pâtes qu'avait préparées son hôte. Les deux voisins de palier avaient remarqué Larbi et l'avaient vu frapper à la porte de l'appartement où il était invité. Mais personne ne s'était aperçu du drame qui survint à deux heures du matin. Ce fut une voiture de police qui faisait sa ronde habituelle dans les parages qui remarqua le jeune homme non loin de l'immeuble, et constata en l'interpellant qu'il était blessé au bras. Après quoi le jeune homme lui-même indiqua aux mêmes agents qui l'avaient interpellé, qu'il y avait quelqu'un derrière l'immeuble, qui s'était jeté par le balcon, à ses dires. Ils purent en effet, constater que A... était étendu par terre avec une flaque de sans sous la tête. Les secours appelés sur le champ, ne purent que constater le décès de celui-ci. L'autopsie ordonnée par le procureur de la République, conclut au décès par hémorragie cérébrale, fracture du crâne et éclatement de la rate". Larbi fut secoué à l'appel de son nom. Jeune homme à l'allure élancée, vêtu d'un pantalon noir et d'une chemise blanche qui ajoutait à la lividité de son teint, il avait le regard hagard, et tenait à peine débout, comme s'il allait déjà à la potence. Le président du tribunal, un magistrat chevronné, le regarda à travers ses lunettes en demi-lune, et comprit son malaise et comme pour le rassurer il l'appela encore une fois, mais par son prénom cette fois-ci, sur un ton paternaliste. "Avance Larbi, n'aie pas peur. On est là pour t'aider, c'est la raison pour laquelle, il faut que tu nous dises la vérité. La vraie vérité évidemment. C'est la seule qui peut te sauver. Ça faisait combien de temps que tu as été au service de la victime ?". Cinq ans, monsieur le président. Depuis que... j'avais quinze ans. J'étais féru de voitures et de mécanique automobile, depuis que j'était enfant. C'est la raison pour laquelle, lorsque A... qui était notre voisin, m'avait fait la proposition de venir l'aider dans son garage, où il réparait les voitures, j'ai accepté sans aucune hésitation" répondit le jeune homme avec une voix tremblattante. -"Ton père était-il d'accord ?" -"Il était déjà mort à l'époque et c'était ma mère qui fut contente que je trouve du boulot, afin de pouvoir donner un coup de pouce à la famille nombreuse que nous sommes". -"Tu as combien de frères et sœurs" ? -"Cinq, monsieur le président, et tous en bas âge". -"Comment ton patron te traitait-il durant ces cinq ans ?" -"Impeccablement. Il était toujours gentil et aimable avec moi. La seule fois où il dépassa ses limites pour devenir odieux, ce fut le jour du drame". -"Peut-tu nous raconter ce qui s'est passé exactement". -"Il m'avait invité à dîner et ce n'était pas la première fois qu'il le faisait. Il m'avait également dit de lui acheter du vin. Moi, je ne bois pas, et les deux bouteilles de vin, je les ai amenées pour lui faire plaisir. En arrivant il m'avait bien reçu. Il avait préparé des pâtes et une salade de tomates, et le tout était déjà servi à table. Lorsqu'il ouvrit la première bouteille de vin, il insista pour que je boive avec lui, en me tendant un verre qu'il avait rempli au préalable. Je lui ai dit tout de suite que je ne buvais pas, et qu'il le savait très bien, en réussissant à décliner gentiment son offre. Mais en ouvrant la deuxième bouteille, au cours du dîner que je n'ai pu d'ailleurs terminer, il revint à la charge, pour insister encore une fois, mais lourdement cette fois-ci. Etait-ce l'effet de l'alcool qui lui monta à la tête ? En tous cas il devint désagréable et grossier et brusquement il me fit des propositions qui m'ont ahuri". Là le jeune homme s'arrêta brusquement de parler et éclata en sanglots. -"Calmez-vous, lui dit le président". -J'ai honte, monsieur le président de vous dire ce qu'il m'avait proposé". -"Je vais vous aider. Il a voulu abuser de vous ? -Exactement, monsieur le président. Il insista, et constatant que je voulais partir, il passa à la sixième vitesse, en devenant menaçant. Il se saisit d'un couteau et me somma d'obéir à ses désirs en me menaçant de planter le couteau dans mon abdomen. Essayant une première fois de lui arracher le couteau, je fus atteint au bras, et c'est ce qui explique la blessure que j'avais lorsque la police m'avait interpellé. Mais à la deuxième je suis parvenu à lui arracher le couteau. Je voulais sortir au plus vite et je brandissais le couteau afin de m'ouvrir un passage et de l'empêcher de s'interposer. Mais il crut que je voulais le tuer, et il s'enfuit et arrivé au balcon, il trébucha au point qu'il passa par dessus la grille, la tête devant, pour s'écraser au sol, au bas de l'immeuble. Voilà comment les choses s'était produites. Je vous jure que c'est la pure vérité, monsieur le président". Le jeune homme était fort ému, et bien affaibli. Le président lui demanda gentiment de regagner sa place et il alla s'asseoir sur le banc des accusés. L'avocat de la partie civile, allait cependant faire part dans sa plaidoirie, de certains éléments choquants et troublants, pour dire notamment que le jeune homme avait lui-même des tendances homosexuelles, pour faire certaines supputations en affirmant par exemple que ce jeune homme exigeait de l'argent de son défunt patron et que devant le refus de celui-ci le jour des faits, il l'avait balancé par le balcon. L'avocat de la défense expliquait au contraire, qu'il était matériellement impossible à ce jeune homme de procéder à un tel acte, le défunt étant plus fort et plus corpulent que lui. D'autant plus que l'expertise médico-légale à laquelle l'accusé fut soumis, ne révéla chez lui aucune tendance homosexuelle. Restait une autre éventualité à envisager : le jeune homme aurait réagi, suite au refus de son patron de lui donner de l'argent, sans même penser à une contre-partie immonde. Il pouvait bien lui demander de l'argent même à titre de salaire. En tout état de cause, et bien qu'on eut accordé des circonstances atténuantes à ce jeune homme, on ne parvint pas, pour autant, à connaître la cause réelle du décès du mécanicien, qui pourtant passait sa vie à déceler les causes de multiples pannes. Il est vrai que le cordonnier est toujours mal chaussé.