• Dans cette interview au Temps, Dominique Steiler, docteur en psychologie, professeur à l'Ecole de Management de Grenoble et auteur de deux ouvrages références, parle de mal-être et de souffrance • En fait, le meilleur moyen de rechercher un équilibre c'est de gérer « les déséquilibres » Le stress touche tous les secteurs et toutes les catégories professionnels. Il apparaît depuis une quinzaine d'années comme l'un des risques majeurs auquel les organisations et entreprises doivent faire face. Un salarié sur cinq déclare souffrir de troubles de santé liés au stress au travail. On parle de stress au travail quand une personne ressent un déséquilibre entre ce qu'on lui demande de faire dans le cadre professionnel et les ressources dont elle dispose pour y répondre. Le « bon stress » permettrait une grande implication au travail et une forte motivation, tandis que le « mauvais stress » rendrait malade. Or, il n'y a scientifiquement ni « bon » ni « mauvais» stress, mais un phénomène d'adaptation du corps rendu nécessaire par l'environnement. Ce stress provient d'origines diverses : se trouve au sein même du système de l'entreprise (la culture d'entreprise, du pilotage managérial, de l'individu et de l'environnement externe. La prévention du stress s'inscrit dans le cadre général de la prévention des risques professionnels. Dominique Steiler, docteur en psychologie et management de l'Université de Newcastle-upon-Tyne (UK) vient de publier deux grands ouvrages : « Eloge du bien être au travail » en avril 2010 et "Prévention du stress au travail: d'évaluation à l'intervention" en juin 2010. Spécialiste du stress professionnel, il a centré son parcours sur le développement personnel et managérial, la performance et le bien-être au travail. Professeur au département Management et Comportement et directeur du Centre Développement Personnel et Managérial Grenoble école management, le Pr Steiler nous livre ses impressions sur le stress dans les entreprises d'aujourd'hui, ses causes, son impact sur la santé et la façon de le gérer * Le Temps :Tout d'abord, nos salariés sont-ils stressés ? -Dominique Steiler : Sans aucun doute, le stress est présent dans les entreprises aujourd'hui. Quand vous dites « nos employés sont-ils stressés, j'affinerais en précisant tous les niveaux d'employés sont soumis à des situations de stress qu'ils vivent plus ou moins bien. Si je devais faire une catégorisation rapide, je dirais que les employés non-managers sont le plus souvent soumis à un stress lié au manque de contrôle sur leur quotidien : « je ne détermine pas mes actions, ce n'est pas moi qui gère mon temps de travail, je n'ai que très peu de pouvoir de décision sur ce qu'il faut faire et comment le faire ». Les managers intermédiaires eux sont plutôt soumis à un stress que l'ont pourrait nommer « du marteau et de l'enclume ». Ils ont en effet, à subir les pressions venant de leurs collaborateurs et des problèmes de terrains, mais aussi les pressions hiérarchiques avec dans les deux cas un rôle tampon très important. Enfin, le cadre dirigeant est très clairement soumis lui à des aspects de solitude, de gestion de la complexité dans des délais et avec des moyens parfois restreints tout en ne pouvant se sortir de l'image de celui qui doit savoir et savoir faire sans droit à l'erreur… sans parler de la pression des actionnaires dans le cas d'une société dans laquelle ce rapport existe. *La responsabilité incombe-t-elle aux décideurs ? -Ah, nous voici de retour à la question de la faute ! Soyons clairs sur ma position de départ. Le stress incombe à la vie ! Il incombe à notre nature, à nos mécanismes d'adaptation. je ne nie pas qu'il y ait des comportements stressogènes, mais, plus spécifiquement, ce qui incombe aux décideurs, ce qui est bien de leur responsabilité, c'est de mettre en œuvre dans leurs entreprises les conditions préventives favorables à sa détection, sa réduction dans l'unique souci d'un vivre mieux en accord avec les besoins de performance des entreprises sans laquelle d'ailleurs le bien-être du salarié n'existerait pas. Le capitalisme avait deux rêves (objectifs ?) : Augmenter les revenus par habitant…afin d'améliorer leur bonheur. Si le premier a été pleinement atteint, des études sur 40 ans ont montré que le bonheur chutait en même temps que les revenus augmentaient. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain. Bien sûr que non, c'est notre manière de faire fonctionner ce capitalisme qui est à revoir. Nous savons aujourd'hui grâce à la science (ce que nous savions déjà hier par la sagesse des hommes) que la performance est une fille du bien-être et que dès que le stress augmente, au-delà d'un surplus de performance immédiat, apparaît une dégradation négative pour la personne et l'entreprise. Alors si une action réelle est à mener elle consiste rapidement à s'intéresser à la notion bien-être au travail. Et ce bien-être passe, comme le soulignent des travaux en neuroscience, en psychologie, en sociologie et en management par le respect et la promotion des grandes valeurs humaines d'altruisme, de gratitude, de sollicitude, de compassion et d'entraide… *Quel est son impact sur l'entreprise surtout lorsqu'on sait que le stress est, aujourd'hui, la deuxième cause de troubles de la santé liés au travail ? -De nombreux travaux ont tenté, avec plus ou moins de succès de montrer les coûts du stress au travail. Ils ont été nécessaires, pour prendre conscience de l'ampleur du phénomène. Ils ont été et sont encore utiles pour convaincre les décideurs de mener des actions de remédiation. Cependant, le coût majeur n'est-il pas au final le mal-être et la souffrance des personnes, qui bien sûr se traduit par des coûts financiers pour l'entreprise et la société en général. Mais bien plus inquiétant, comment aboutir à une société qui fonctionne quand les étudiants, voire pire les jeunes élèves des lycées et collèges ont une telle peur du travail qu'ils se représentent avant tout comme « la peur ou l'ennui de se lever le matin, la boule au ventre, pour faire quelque chose qui toute la (leur) vie ne leur (me) plaira pas ». N'est-ce pas pour cette raison là qu'il faut avant tout unir les forces pour avancer dans ce problème ? N'est-ce pas pour tenter de vivre mieux que nous voulons construire une société qui marche ? Alors si la gestion du stress au travail a un sens il est là : lui redonner sa valeur d'épanouissement. *La crise économique (Compressions des effectifs, délais écourtés, contrats précaires) est-elle la cause de ce fléau ? -La crise économique est un amplificateur du phénomène. Comme vous le soulignez dans votre question, les compressions, les délais, la précarité… mais aussi les messages continus des médias, la focalisation sur ce qui ne marche pas plutôt que sur les réussites, notre immense aptitude collective à vivre dans ou par (monde politique, monde commercial, publicité, monde de l'éducation…) nos peurs plus qu'à apprendre à y faire face efficacement sont autant de facteurs catalyseurs auxquels il faudrait s'attacher pour progresser. Prenons un exemple concret qui provoque chez moi toujours autant de colère : que pensez d'une éducation scolaire dont le message parfois unique se centre sur “la vie sera pour vous de plus en plus dure ?”. Du primaire au secondaire, du secondaire au supérieur. Le rôle de l'éducation n'est-il pas d'apprendre comment penser pour préparer les personnes à leur vie future, plus que de leur dire quoi penser… surtout quand ce quoi est une projection très négative de la vie ? Que penser d'un manager incapable de se séparer d'une croyance du type “non pain, non gain !” (sans douleur, pas de gain) ? Pourquoi une telle confusion entre l'effort et la souffrance ? Vous voyez que le sujet est vaste et que la crise n'agit finalement que comme un révélateur.