C'était l'époque où Ciné-club et Ciné-amateur étaient à l'avant-scène artistique et, surtout, idéologique. Les films populaires ne pouvaient être que politiques et c'est, alors, qu'on découvrit le premier acteur noir qui campait le rôle du héros. Son visage avait la douceur, la finesse et la détermination de Mohamed Ali Clay et son corps avait la souplesse des danseurs. Nous étions au cœur de l'adolescence et sans trop les comprendre les films où il jouait, nous l'avons aimé. Sûrement parce qu'il présentait un nouveau genre de héros mais surtout parce qu'il apparaissait comme la figure emblématique des mouvements qui réclamaient les mêmes droits pour les noirs et les blancs. Les Informations qu'on projetait avant le film et qui tenait l'écran pendant des semaines, nous montraient invariablement des scènes où le racisme et la xénophobie étaient de mise. La société américaine était alors divisée en deux grands blocs. Celui des blancs qui vivaient à la lumière et celui des minorités - dont les noirs – qui végétaient à l'ombre. Sidney Poitier – puisque c'est de lui qu'il s'agit – était celui qui a fait entrer dans le champ ceux qui étaient hors-champ. Les années 50 lui permirent d'exprimer sa colère puisqu'avant sa percée, les acteurs noirs étaient des grands enfants naïfs. Le sport – surtout le football et la boxe – commençait à ouvrir les portes aux afro-américains. Mais Belafonte, son ami pour la vie, était le seul à avoir le rôle d'un jeune premier puisqu'il avait « une belle gueule » et une voix irrésistible. Les années 50 sont celles des acteurs rebelles. Ce qui le poussa à crier au visage d'un Gleen Ford pétrifié : « Allez-y ! frappez-moi ! ». C'est aussi la naissance du mouvement pacifiste des droits civiques et c'est au cœur de ce bouillonnement retenu, qu'il débarqua avec ses traits différents de ceux des autres acteurs et une culture différente qui furent de lui la coqueluche des cinéastes américains progressistes. Ce fût « l'homme qui tua la peur » et, surtout, « La chaîne » qui raconte l'histoire d'un homme blanc, plutôt brave et bon, qui s'éloigne de la société pour chercher une sorte de spiritualité chez les noirs qui étaient, en ces temps-là, symboles de droiture, de fraternité, d'affection et de chaleur humaine. 1963 Avec « Le lys dans la vallée » il est le premier afro-américain à recevoir l'Oscar du meilleur acteur : « Je ne me suis pas dit que ce pays était en train de se réveiller puisque j'étais encore le seul noir à Hollywood et que je savais qu'il restait encore beaucoup de chemin à parcourir ». Sidney avait intériorisé les rapports entre blancs et noirs avec cette problématique posée par « Le lys dans la vallée » qui est celle du sexe et du racisme et qui remonte à l'époque de l'esclavagisme. Sidney y est amoureux d'une jeune femme blanche, relation sévèrement condamnée par les mouvements racistes. Cette jeune femme, étant aveugle, et il panique à l'idée qu'elle ne retrouve la vue. Comment le regardera-t-elle, alors et quelle sera sa réaction ? Poitier sera, aussi, le premier à lever le tabou du mariage inter-racial. Il représentait le bon nègre « qui ne fait pas peur aux blancs » et les rassure. Cette image va jouer en sa défaveur pendant les années 60 et 70, surtout avec l'arrivée des Black Panters sur les devants de la scène politique américaine. Il sera considéré comme le symbole de la nouvelle servitude de l'homme noir aux blancs. Mais Sidney va prendre sa revanche et regagner l'amour de son public. N'oublions pas qu'il fut celui qui pour la première fois de mémoire de cinéphile, gifla un blanc qui venait de le gifler. Cet outsider a pas moins d'une soixantaine de films à son actif. Acteur et réalisateur, il fut, surtout, la figure emblématique des mouvements d'émancipation de la communauté noire des Etats-Unis d'Amérique. Un rebelle auquel beaucoup d'artistes et de politiciens afro-américains doivent beaucoup.