Nouvelles mesures législatives réglementant le secteur : vers la spécialisation et le bannissement du mercantilisme- Les établissements privés d'enseignement supérieur tunisiens, dont le premier a été lancé en 1973, peinent encore à acquérir leurs lettres de noblesse. Depuis l'adoption, en août 2000, d'une loi sur l'enseignement supérieur privé destinée à mettre de l'ordre dans le secteur et à en faire une composante à part entière du système universitaire national, plus d'une vingtaine d'universités payantes ont été créées. À la rentrée universitaire 2010-2011, le nombre d'établissements privés autorisés à dispenser des formations universitaires a atteint les trente-cinq. Les promoteurs de ces institutions, en majorité des anciens enseignants convertis dans les affaires, et qui ont bénéficié de multiples avantages financiers (prise en charge par l'Etat d'une partie des salaires des enseignants, subventions à l'investissement…) ont visiblement cherché à surfer sur la vague de la montée en flèche projetée du nombre d'étudiants. Durant l'année universitaire 2000-2001, la Tunisie ne comptait que 207 mille étudiants. Ces effectifs universitaires ont atteint quelque 430 mille cette année. Pour 2012, on prévoit plus de 500 mille étudiants… Au lendemain de l'adoption du cadre légal de l'enseignement supérieur privé, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique espérait que les établissements payants accueilleraient 30 mille étudiants en 2007 et 40 mille en 2010. Dans ce chapitre, les universités privées sont encore loin du compte. Durant l'année universitaire 2009-2010, ces institutions n'ont accueilli que 12518 étudiants, dont 3682 sont de nationalités étrangères, selon les statistiques du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Pire encore, quinze établissements ont tourné avec moins de 200 étudiants chacun. Pour l'année universitaire en cours, la Chambre syndicale de l'enseignement privé relevant de l'Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat (UTICA) table sur 1500 étudiants, les inscriptions étant toujours en cours.
Les sons de cloche
Les frais d'inscription, qui varient entre 2500 à 7000 dinars en fonction de la nature du diplôme et de la durée de formation, restent le principal talon d'Achille des universités privées dans notre pays, où la gratuité de l'enseignement est érigée en principe constitutionnel. Mais le coût relativement onéreux des études n'explique pas, à lui seul, la situation peu envieuse du secteur. Les structures privées d'enseignement supérieur continuent également à traîner comme un boulet la mauvaise image de marque associée souvent à l'enseignement privé, et qui a été pendant longtemps considéré comme une «roue de secours» pour les élèves et les étudiants ayant épuisé leurs chances de s'inscrire dans les établissements publics. «Cette perception négative de l'enseignement privé reste d'actualité à l'heure où l'écrasante majorité des universités privées dispensent désormais des formations de qualité et répondent aux attentes des entreprises opérant dans la plupart des secteurs d'activité économique», estime M. Abdellatif Khammassi, patron de l'Université Privée de l'Enseignement Supérieur (UPES) et président de la Chambre syndicale de l'enseignement privé. Les étudiants et les enseignants estiment, cependant, que les établissements privés alternent le bon et le moins bon. «La qualité de formation diffère d'une institution à l'autre. De nombreux établissements dirigés par des équipes crédibles ont noué des partenariats avec des universités étrangères et font appel à un cadre enseignant de qualité. Certains autres sont de véritables fabriques de diplômes», souligne un enseignant vacataire au niveau de l'une des universités spécialisées dans les beaux arts. Même son de cloche chez Imen Gaubi, ancienne étudiante dans un établissement privé comptant moins de cent apprenants: «Beaucoup de promoteurs n'hésitent pas à mettre la main à la poche pour investir dans les équipements et le recrutement d'enseignants compétents. D'autres poussent la mercantilisation de l'enseignement dans ses derniers retranchements en engageant des enseignants peu qualifiés et en délivrant des diplômes dont la crédibilité est, pour le moins, douteuse». Les propos de cette étudiante en gestion, qui a préféré changer d'établissement après deux ans d'études, sont étayés par des faits récents. Alors que les autorités de tutelle ont procédé, l'année dernière, à la fermeture d'une institution pour «dépassements pédagogiques avérés et pouvant nuire à la crédibilité des diplômes», l'Ecole supérieure privée d'ingénierie et de technologies (Esprit) s'est fait récompenser pour la qualité de ses diplômes par des industriels sud-coréens.
Ça sent le roussi pour les promoteurs
Du côté des promoteurs, on estime que les nouvelles dispositions prévues par la loi promulguée en août 2008 et amendant celle promulguée en 2000 risquent de condamner plusieurs établissements à mettre la clef sous la porte. « Les nouvelles mesures qui nous obligent de dispenser des formations dans une seule spécialité et de recruter une proportion importante d'enseignants permanents risquent de compromettre l'avenir du secteur», s'offusque le président de la chambre syndicale de l'enseignement privé. Et d'ajouter : « la nouvelle loi, qui prévoit aussi l'augmentation du capital minimum des universités privée à deux millions de dinars, a été promulguée sans consultation préalable des promoteurs». Le ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique précise, en revanche, que la promulgation de la loi d'août 2008 a été précédée d'une large concertation avec de l'UTICA. Il note également que le fait de limiter les formations dispensées par les établissements privés dans une seule spécialité (informatique et technologies, sciences économiques, sciences humaines etc…) vise à assurer la cohérence des offres des formations et l'utilisation optimale des ressources humaines disponibles. D'autre part, le ministère justifie l'obligation de disposer d'un minimum d'enseignants permanents, dont 50% devraient être titulaires d'un doctorat, par la nécessité de garantir la bonne qualité de la formation. Au-delà des divergences des points de vue sur les nouvelles exigences règlementaires, certains promoteurs estiment que les dépassements constatés au niveau de quelques établissements sont en réalité des péchés de jeunesse. «Il est quelque part trop cruel de dire que l'enseignement supérieur privé en Tunisie est décevant au regard du jeune âge de la plupart des établissements. S'il est vrai que les universités américaines sont aujourd'hui des références il n'en demeure pas moins qu'elles ont acquis ce statut en plus de trois siècles d'existence», note M. Mondher Ben Ayed, homme d'affaires et actionnaire dans l'université privée Time University…