Enquête réalisée par Badreddine BEN HENDA - *Prix à deux vitesses et surtout, des dissensions à propos de la marge bénéficiaire : 15%...Or la flambée subite des prix procède d'une certaine complexité…La Chambre Nationale des Commerçants de Viande de Volaille appelle le ministère au dialogue : « Nous ne cherchons guère le bras de fer », déclarent-ils…Mais pour l'administration, « les marchands de volaille font des bénéfices suffisants ». - Les consommateurs de viande de volaille ont certainement constaté que durant la dernière semaine de décembre 2010, les prix de cette denrée ont sensiblement baissé. Le soir du réveillon, l'escalope de dinde était proposée à 6 dinars 500 millimes le kilo après avoir été longtemps vendue à 8 dinars et plus. Il en fut de même pour le prix du kilo de poulet descendu alors à 3 dinars 100 millimes chez certains commerçants. Mais passé la fête du jour de l'an, tous les tarifs de viande de volaille ont été revus à la hausse. Samedi dernier, les prix ont augmenté d'au moins un dinar par rapport à ceux pratiqués fin décembre. Le lendemain, dimanche, le poulet se vendait à des prix très divers oscillant entre 4 dinars 150 et 4 dinars 750. Même le foie de dinde et les abats de poulet coûtaient beaucoup plus cher que d'habitude, le week-end dernier. Au marché central de Tunis qui abrite deux pavillons séparés réservés aux commerçants de viande de volaille, il était facile de relever la différence des prix pratiqués dans l'un et l'autre compartiment. On aurait dit deux secteurs rivaux qui appliquent chacun ses règlements et ses tarifs. Interrogés sur ces écarts ostensibles, les marchands les moins chers ont justifié leurs prix relativement bas par la crainte des procès-verbaux qu'on pourrait dresser contre eux si leur marge de bénéfice dépassait les 15 % fixés par le ministère du Commerce et de l'artisanat. Dans l'autre pavillon, on prend très à la légère ce type de sanctions : « Ce que mes autres collègues ignorent, répondit l'un des commerçants, c'est que les procès-verbaux dressés contre nous sont illégaux, ils se réfèrent à une décision ministérielle de 2006 devenue inopérante 6 mois après son application. Nous connaissons la loi et les règlements qui régissent notre secteur et n'avons aucunement le sentiment d'y contrevenir. » ------------------------------------ Brahim Nefzaoui, président de la Chambre Nationale des Commerçants de viande de volaille : « Nous n'assumons pas seuls la responsabilité de la flambée des prix ! » Le président de la Chambre Nationale des Commerçants de viande de volaille, M. Brahim Nefzaoui, confirme les déclarations de ce marchand et nous apprend qu'une affaire est en cours au tribunal administratif concernant la validité de la décision ministérielle de 2006 qui fixe la marge de bénéfice des marchands de volaille à 15 %. Il ajoute que le dialogue avec la Direction Générale de la Concurrence et des Enquêtes Economiques est rompu depuis plus de trois mois « alors qu'en septembre 2010, notre Chambre a reçu un télégramme de remerciements de la part du ministre du Commerce et de l'artisanat pour notre contribution à la préservation du pouvoir d'achat du citoyen durant le mois de Ramadan. Nous ne cherchons point le bras de fer avec le ministère mais au moins qu'on nous écoute et qu'on nous permette de présenter nos arguments. Nous appelons même à un débat sur le dossier de la volaille où la parole sera donnée à tous les intervenants du secteur sans exception et ce, dans le souci de sortir de l'impasse actuelle et du dialogue de sourds entre nous et la direction générale de la concurrence et des enquêtes économiques. C'est un cercle vicieux qui ne profite à personne et surtout pas au consommateur». M. Brahim Nefzaoui nous a par ailleurs montré une récente facture (datée du 6 janvier 2011) où sont détaillés les tarifs de chaque viande tels qu'ils sont pratiqués par l'un des fournisseurs du marché. « Si j'achète le poulet frais à 4 dinars 100 millimes le kilo, à combien voulez-vous que je le propose au consommateur ? Ce n'est pas à nous qu'il faut imputer la flambée des prix ; nous faisons partie de toute une chaîne dont nous constituons le maillon faible. Les abattoirs de volaille ont aussi leur part de responsabilité dans la hausse des tarifs, pourquoi ne leur demande-t-on pas de comptes ? Pour m'en tenir à l'essentiel, je dirais que nous ne demandons qu'à reprendre le dialogue avec le ministère du Commerce et de l'artisanat. Nous avons auparavant fait preuve d'esprit de solidarité et sommes toujours disposés à contribuer à la préservation du pouvoir d'achat du Tunisien. Mais personne ne nous prête l'oreille en ce moment ! » ------------------------------------ Et l'Administration ? « Les marchands de volaille font des bénéfices suffisants » Samedi dernier, nous avons contacté par téléphone M. Khalifa Tounakti (Directeur Général de la Concurrence et des Enquêtes Economiques) pour nous faire part de sa réaction aux déclarations du président de la Chambre Nationale des commerçants de volaille. Il paraissait déjà irrité par un article de presse paru le même jour sur le sujet et nous fit part de son étonnement quant au crédit et au sérieux que les journalistes accordent aux allégations de M. Brahim Nefzaoui. Pour lui, les marchands de viande de volaille ont une marge de bénéfice largement suffisante et le ministère tient davantage à se conformer au décret présidentiel qui appelle à la limitation de cette marge de bénéfice et à la préservation du pouvoir d'achat du citoyen. ------------------------------------ Qu'en pense l'O.D.C ? A l'Organisation de Défense du Consommateur, on soupçonne une entente entre les commerçants de volaille pour pratiquer des tarifs élevés alors que l'on parle de surproduction dans le secteur. M. Lotfi Khaldi rappelle à ce sujet que ce type d'accord est une pratique illégale qui nuit grandement aux intérêts du consommateur lequel paie toujours une lourde facture en période de pénurie comme en période de surproduction. Le mieux serait, selon lui, de revenir à la logique initiale selon laquelle les prix montent ou baissent selon les taux de production. ------------------------------------ Tendance à la baisse du prix Info ou intox ? Lundi soir, M. Brahim Nefzaoui nous a appelés pour nous faire savoir qu'à partir de la semaine courante, la tendance allait être à la baisse dans les prix de la volaille. Le prix du kilo de poulet descendrait jusqu'à 4 dinars après avoir frôlé la barre des 5 dinars la semaine dernière. Hier mardi, nous nous sommes rendus au marché central et dans une grande surface pour vérifier la baisse annoncée. Il n'en était rien ou presque rien par rapport aux prix de la semaine dernière. Certains commerçants ont même augmenté leurs tarifs du week-end ! En tout cas, jusqu'à hier midi, le kilo de poulet valait entre 4 dinars 200 et 4 700. L'escalope de dinde se vendait à au moins 6 dinars 900 millimes. Quant au foie de dinde, il est toujours à près de 6 dinars le kilo. On le confond peut-être avec le foie gras ! Le consommateur doit quand même s'estimer heureux tant que les marchands de volaille n'interviennent pas encore dans les prix du… lait de poule et des tissus pied-de-poule ! Mais qui sait s'ils n'y pensent pas déjà !