Ridha Attia, directeur général de la chaîne hôtelière Vincci Tunisie : «L'administration ignorait les vrais problèmes du secteur touristique. L'ONTT doit être restructuré au plus vite » Le tourisme se taille une part de 6,5 % du PIB et fait travailler directement 340 000 personnes, soit un emploi sur dix en Tunisie. Il y a donc une impérieuse nécessité à ne pas bloquer la machine trop longtemps. Grâce à cette révolution, la Tunisie est en train d'accumuler un extraordinaire capital de sympathie à l'échelle mondiale, ce qui lui procurera un degré de notoriété qu'aucune campagne de publicité n'aurait pu générer. Nos professionnels bougent et essaient par tous les moyens d'assurer leurs partenaires. C'est le cas de la chaîne hôtelière Espagnole Vincci Tunisie qui est présidée par Ridha Attia, un ancien cadre de l'ONTT qui possède une riche expérience touristique puisqu'il était directeur chez PLM (Accor) avant de passer à jet hôtel filial d'Air France en tant que directeur des Elodoradors. Avec les espagnols de Trip, Ridha devait rester 8 ans avant de diriger Vincci Tunisie depuis 9 ans. Il nous révèle dans cette interview les grands maux du tourisme tunisien et la nouvelle feuille de route à suivre. Tout d'abord comment jugez-vous la situation du tourisme en Tunisie ? La destination a été touchée tant au niveau des entrées que des nuitées. Cette situation s'est répercutée sur l'activité touristique. Pas de visibilité pour l'immédiat. Heureusement, l'immense majorité des TO s'est dite prête à partir au plus vite. Beaucoup de voyagistes français et allemands nous ont soutenu dans notre démarche en nous disant que ce n'était pas le moment de laisser tomber la Tunisie. Donc on sent que l'espoir revient après cette révolution du peuple ? Effectivement, l'espoir renaît de nouveau et on sent une reprise imminente de la part de certains TO qui ont décidé de programmer déjà un avion pour le 6 février sur Djerba. Certains TO français comme Look et Marmara continuent de vouloir opérer des vols en Tunisie vers Monastir, Djerba et Tunis. Nous en tant que chaîne de gestion hôtelière, nous n'avons pas fermé nos huit hôtels. Tout le personnel est maintenu. Nous tenons d'ailleurs un discours rassurant avec nos partenaires et clients et nous espérons que la Tunisie retrouvera ses repères et que le tourisme redémarrera de nouveau Quel serait votre scénario pour une reprise du trafic touristique vers la Tunisie ? La sécurité et la stabilité politique sont les deux moteurs indispensables au développement du tourisme dans un pays. La Tunisie libre et démocratique est en train de retrouver sa sérénité. . Il est toutefois rassurant de voir Mohamed Jegham à la tête du tourisme dans le gouvernement provisoire. C'est un homme de métier et un ministre remarquable en son temps.Il doit s'adapter à la nouvelle situation du secteur et doit être entouré d'une équipe d'action constituée de vrais professionnels. La révolution a pu modifier l'image de la Tunisie. Fini l'Etat policier et corrompu. Les touristes aimeront encore davantage une Tunisie libre et démocratique. C'est un atout pour booster la destination. Ces touristes aiment la Tunisie. Certains ont souhaité poursuivre leurs séjours en Tunisie. En tant que professionnel, par quoi commencer pour booster la destination ? Le tourisme tunisien doit aussi faire sa révolution. L'immédiat c'est de communiquer positivement sur les acquis de cette révolution. L'enjeu d'image consiste à valoriser, promouvoir et faire connaître les atouts de la Tunisie par le biais d'une communication ciblée. Aujourd'hui, on doit tranquilliser nos partenaires, les rassurer et encourager tous les investisseurs à venir en Tunisie. Le climat d'investissement n'était pas de nature à attirer les investissements étrangers à cause de la corruption et des tracasseries administratives de l'ancien régime. Plusieurs hommes d'affaires ont rencontré des blocages pour faire aboutir leurs projets. Avec plus de clarté et plus de transparence, j'estime que plusieurs investisseurs européens reviendront nombreux en Tunisie. Et l'administration ? L'administration qui ignorait les vrais problèmes du secteur faisait échouer les initiatives professionnelles et n'a pas beaucoup aidé les professionnels dans leur tâche. Beaucoup de tracasseries et des audits erronés ont freiné l'activité touristique en Tunisie. Et là l'ONTT doit se mettre à niveau et réformer ses méthodes de travail et de marketing. La profession n'a jamais été associée à la gestion de cette structure. La nomination des représentants à l'étranger doit se faire en tenant compte de la compétence et des qualités professionnelles requises. Nommer des représentants à la hâte et qui ne maîtrisent même pas la langue est une aberration. Et là il faudrait restructurer l'ONTT qui ne pouvait pas s'occuper de tout. L'environnement doit être du ressort des mairies, l'hygiène des services de santé et le contrôle des prix du ministère du commerce et personnellement, je suis pour la constitution d'un comité d'action organisant autour du ministre qui a pour rôle d'apporter les solutions urgentes à notre tourisme Longtemps assimilée à un pays bon marché, la Tunisie a toujours été une destination de bas de gamme. Chose qui s'est répercutée sur nos prix. Comment faire face au bradage des prix ? La Tunisie a développé son assise sur un tourisme de masse, pratiquant la surenchère de bétonnage pour multiplier ses capacités d'accueil en oubliant de peaufiner son offre et son service. Chose qui nous a poussé à brader notre produit et nos prix. Pour lutter contre cette érosion, le pays doit se lancer dans une montée en gamme avec, comme principales innovations, la thalassothérapie et le golf, des prestations qui engrangent davantage de recettes que le tourisme de masse. A mon avis, l'administration doit dorénavant contrôler aussi la politique tarifaire des hôteliers car trop de bradage nuit à notre tourisme et à notre image de marque. Faut-il séparer l'hôtellerie de l'agence de voyage ? Je suis pour la séparation de l'hôtellerie et l'agence de voyage car l'agent de voyage a toujours été le réceptif du tour-opérateur. Ces TO ont toujours fait pression sur les hôteliers en imposant leurs exigences et leurs prix. Il ne faudrait plus confier notre parc hôtelier à des TO mais plutôt à des sociétés de gestion hôtelière afin de séparer les intérêts de chacun car malheureusement, une grande part du parc hôtelier tunisien est confiée à des TO et non à des entreprises hôtelières Faut-il donner une connotation à nos stations touristiques ? Je pense qu'il faut donner une connotation à chaque région. Yasmine Hammamet doit devenir une station de tourisme de luxe, une sorte de zone franche interdisant toute activité d'artisanat en dehors de la Médina tout en développant le shopping à haute valeur ajoutée. Hammamet Nord doit garder son rôle de station de tourisme classique tout en rénovant son parc hôtelier. Sousse et Monastir doivent retrouver leur première connotation en tant que destination privilégiée des Scandinaves et des Anglais avec le développement de la formule appart-hôtel et le golf. Djerba pourra développer plus son tourisme balnéaire alors que Tozeur devrait s'inspirer du succès de Marrakech avec le développement des riadhs et des hôtels de charme. Ceci sans oublier la révision du classement du parc hôtelier car on ne s'est jamais occupé de l'amélioration des prestations notamment le matériel d'exploitation et la formation du personnel. Cette formation est le point faible du secteur en raison de la qualité d'enseignement dispensé dans nos écoles hôtelières. La solution immédiate serait de confier la formation sur le tas aux professionnels pour les nouveaux diplômés en leur apprenant les métiers d'hôtellerie. Quant aux jeunes promoteurs, il est navrant de constater l'échec de cette formule qui a été mise en place pour améliorer la qualité des services alors que ces jeunes ont été bouffés par les grands groupes. Côté investissement, il faudrait penser à baisser le coût des structures car trop de marbre, de béton et de luxe nuisent à la rentabilité de notre secteur et font des hôteliers super endettés. Les hôteliers qui offrent un produit et un service irréprochables sont forcément beaucoup plus gagnants. Toutefois il est nécessaire de se remettre assez souvent en cause car la concurrence est trop rude. Le mot de la fin ? Le peuple tunisien vit une étape décisive de son histoire. Cette révolution pourra booster plus le secteur touristique, améliorer l'image de marque de la Tunisie et réaliser de bonnes performances malgré une conjoncture difficile. Nous avons toutes les indications et toutes les raisons de croire que notre pays sera très rapidement en mesure de revenir sur la bonne voie. Pour cela nous devrons nous remettre au travail et voir l'avenir avec sérénité. Pour notre part et concernant le développement du secteur, nous serons au rendez-vous