Raouf KHALSI - La Révolution n'est peut être pas pressée, mais les Tunisiens, si. Ceux qui campent devant le Palais du gouvernement ont peur - comme tous ceux qui ont fait cette Révolution - que les politiques ne leur laissent les pertes et n'en tirent les profits. Classique. Et toutes les personnes raisonnables partagent avec eux cette appréhension : à savoir que le péril majeur qui guette ce fantastique basculement de l'Histoire c'est bien la récupération et son corollaire, l'effronterie… Sur ce plan les Tunisiens sont vigilants et font preuve d'une grande maturité intellectuelle. Et ils ne sont plus disposés à reconduire leur propre passé d'otages des dictatures… Inévitablement les poisons de l'outrance s'insinuent dans les rangs des manifestants. Ceux qui manifestent à haute voix et ceux, plus tenaces, qui manifestent en silence. Le gouvernement provisoire ? Ils ont peur qu'il ne se révèle être un cheval de Troie. L'imbrication avec le RCD ? Les démissions du parti sont perçues comme une berceuse. C'est donc le blocage. Blocage d'un Etat déjà fantoche, même si on ne pouvait faire autrement. Car la machine économique doit redémarrer et c'est la teneur justement de l'appel de l'UTICA dont les membres et les hommes d'affaires honnêtes – et ils représentent l'écrasante majorité de nos décideurs – sont abusivement diabolisés. Aujourd'hui rien n'est encore acquis (la démocratie institutionnelle) et rien n'est encore perdu sur le plan économique. Nous avons toujours nos atouts, pour peu que les organismes internationaux (Davos, Banque Mondiale, FMI) reconnaissent eux-aussi qu'ils nous ont floués et fassent leur mea culpa, comme nous l'avons fait, ici, sur ces mêmes colonnes. Nous disions, au début, que les Tunisiens sont pressés… Ils sont pressés justement de connaître la vérité. Ils sont assoiffés de justice. Or voilà que les chefs d'accusation contre l'ex-président et les siens paraissent dérisoires par rapport aux crimes révélés. Au point que le syndrome d'une parodie de justice hante déjà les esprits.