Depuis le 13 janvier, vissée devant ma télévision, je suivais impuissante et tétanisée le cours des événements qui me dépassaient comme ils ont dépassé tout le monde ; j'ai passé des nuits blanches à zapper entre les chaînes de télé qui essayaient un tant soit peu de suivre les événements faute de les précéder… Et comme tout le monde, j'ai suivi le triste départ de l'homme fort et de sa vorace égérie, les interventions désastreuses programmées des tontons macoutes, de celles de l'armée, etc. Tout ce que j'avais essayé d'écrire ces dernières années me semblait insignifiant et toutes les circonvolutions de mes chroniques utilisées pour pouvoir tergiverser pour passer à travers des dents acérées d'Anasthasie et de la peur au ventre de mon patron qui craignait pour le devenir de son journal et chaque mot que j'écrivais était lu, relu, soupesé, et passait finalement difficilement les griffes de l'autocensure. Depuis que la rue a pris de la voix, je suis restée sans voix et n'ai rien trouvé a écrire, assénée par ce qui est arrivé me demandant comment une simple gifle donnée par une contractuelle au regretté Bouazizi a pu provoquer un tsunami qui a emporté un système véreux et verrouillé. J'avoue que, à ce jour, je ne réalise toujours pas ce qui nous arrive depuis une dizaine de jours … Et la télé m'a révélé l'évolution des esprits où l'on est parti d'une horde –ambassadeur de Tunisie a Paris dixit– à une révolte de gens qui ont faim –télés françaises–, puis à une révolution à la 1789 –PARIS Match et presse anglo-saxonne–, ainsi que tous ceux qui prennent le train en marche –et ils sont de plus en plus nombreux- qui ont comparé à 1789… Car ce qui est arrivé est la conséquence logique et heureuse d'un long processus démarré il y a plus de 50 ans des programmes de scolarisation d'électrification et de développement… Et ce que, malheureusement, certains n'ont pas compris, c'est qu'on ne peut pas donner de courant aux gens sans les mettre au courant. Et je voudrai répéter à ces Occidentaux qui n'ont peur que pour leur petit confort que les barbes ne poussent que lorsqu'on ne trouve pas d'eau pour se raser… et je connais plus d'un responsable africain qui dort sur ses 2 oreilles vu que seule l'avenue principale de leur capitale à l'électricité … Et nous, qu'avons-nous fait durant ces 8.500 jours de pouvoir sans partage, car il faut être clair: nous sommes tous coupables, ceux qui en ont profité à divers degrés, ceux qui n'ont rien dit, ceux qui ont vécu dans un exil doré dans des pays prétendument amis et seuls les prisonniers politiques dont je découvre le nombre avec effroi, ont du mérite et qui, n'eut été ce geste de désespoir venu du fin fond de la campagne tunisienne, seraient encore en train de croupir dans les oubliettes de l'histoire pendant que d'autres se dorent au soleil. Oui reconnaissons-le nettement et faisons notre mea culpa, nous avons d'une manière directe ou indirecte, et quels que soient notre fonction et rôle, profité ou utilisé voire subi un système qui s'est développé d'une manière tentaculaire avec notre silence complice, et n'avons pas osé oser … Et comme tout le monde, je me pose la question: qu'allons-nous devenir nous qui avons toujours vécu encadrés dans un cadre aseptisé et sécurisé? Car l'histoire montre que toutes les révolutions ont été récupérées d'une manière ou d'une autre: celle de 1789 a remplacé le roi par un empereur en 1805, celle des bolcheviques par des milliardaires russes, celle d'Algérie par des généraux. Que sont devenues les épopées de Gandhi, Mandela, Nasser, Fidel, etc.? Allons-nous échapper a cette calamité de l'histoire et qu'allons-nous devenir et surtout allons-nous continuer à manifester afin de nettoyer les écuries d'Augias avec tous les dégâts collatéraux? Mais comme dirait un certain Chirac, il faut bien manger et faire manger. Mais par ailleurs, chercher à faire le vide coûte que coûte c'est risque voire suicidaire car la nature a horreur du vide et tout dérapage ne fera que servir les intérêts de ceux qui regardent ce qui se passe chez nous d'un regard méfiant voire mauvais; et ils sont nombreux aussi bien d'Occident que d'Orient. Risquons-nous de voir une Rome quelconque venir exiger que CartHago- dalenda- est comme ont commencé à le faire ces maudites agences de notation? Allons-nous arriver à réussir de passer du stade de coupables de silence à celui de capables de sauvetage de ce bien si bien acquis? Je n'ai aucune réponse et j'attends et j'espère que notre peuple sera assez mûr pour que ces oiseaux de mauvaise augure aient tort…