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Alaa El Aswany, rebelle en son pays
Portrait
Publié dans Le Temps le 10 - 02 - 2011

Par Pankaj Mishra * - Le succès phénoménal du roman L'Immeuble Yacoubian a fait d'Alaa El Aswany le meilleur exégète de l'Egypte contemporaine. Les événements des derniers jours le placent de nouveau sous les feux de la rampe. Car ce lutteur aux manières de gentleman s'est engagé depuis longtemps dans le combat contre le régime égyptien.
Nous vous proposons de relire des extraits du portrait que lui a consacré Books magazine.
Un soir de l'automne 2007, je me joignis à la petite foule qui s'était réunie dans une pièce poussiéreuse donnant sur la rue Qasr-Al-Nil, artère très animée du Caire. Sur une banderole, on pouvait lire : « Bienvenue au Salon culturel du Dr. Alaa El Aswany ». Beaucoup de ceux qui prirent place autour de moi paraissaient de simples amateurs de célébrités, venus voir en chair et en os le romancier le plus populaire du moment dans le monde arabe, Alaa El Aswany; ce même El Aswany qui se montre de plus en plus ouvertement critique à l'égard du régime du président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis près de trente ans. Le reste de l'assemblée était composé d'aspirants écrivains ou d'étudiants avides de ses lumières littéraires et politiques. Avec son pauvre néon, ses chaises à moitié cassées et son unique table maculée d'empreintes de tasses, la salle décourageait pourtant tout espoir d'éclat littéraire. Mais elle offrait le frisson du danger politique. Les agents du renseignement avaient tant intimidé le propriétaire du café où le salon se tenait auparavant que l'homme avait fini par chasser à grand fracas El Aswany et son auditoire. Le cafetier s'était ensuite excusé, expliquant qu'il avait agi ainsi à cause des espions du gouvernement.
Le salon hebdomadaire se tient donc désormais, choix plus provocateur, dans les bureaux de Karama, un parti de centre gauche encore en attente d'une pleine reconnaissance officielle – en Egypte, les partis politiques doivent être autorisés par le gouvernement. El Aswany, impressionnant géant d'une cordialité désarmante, vient généralement à pied de chez lui, dans l'élégant quartier britannique de Garden City où il exerce son métier de dentiste, tout en menant une carrière littéraire de plus en plus florissante.
La chaleur est intense dans la pièce sans air; la fumée des cigarettes reste suspendue en de hautes colonnes rectilignes. De ma place, je peux voir la photographie d'un bel homme en uniforme. C'est Gamal Abdel Nasser, président de 1954 à 1970. Une épaisse couche de crasse recouvre l'image plastifiée, comme elle recouvre tout le reste, dans ces locaux qui laissent deviner des jours et des nuits d'idéalisme souvent vain. Mais cette image du plus grand dirigeant de l'Egypte postcoloniale – le nationaliste (et dictateur) laïc qui fut l'icône de l'unité arabe et du tiers-monde jusqu'à ce qu'il perde la guerre des Six-Jours contre Israël et soit désavoué par ses propres successeurs – a quelque chose de particulièrement triste (…).
Art et religion
Le silence se fait lorsqu'El Aswany entre dans la pièce. L'écrivain aborde bientôt le sujet de la soirée : « Art et religion ». D'abord lent, son débit s'accélère jusqu'à exprimer une forme de passion, tandis qu'il se penche au-dessus de la table et agite ses longs bras épais. Il décrit les controverses autour de Salman Rushdie et des caricatures danoises du prophète Mahomet, expliquant pourquoi l'art et la religion, deux domaines considérés comme parfaitement distincts en Occident, entrent si souvent en conflit. Le propos est complexe, et je n'arrive à en suivre qu'une partie, traduite par mon interprète arabe. Mais les jeunes barbus prennent des notes avec diligence, et ils sont les premiers à lever la main quand El Aswany, épuisé par l'exercice, s'écroule sur sa chaise et invite le public à poser des questions. « Pourquoi, demande l'un d'eux, l'Occident a-t-il accordé tant d'importance au roman de Salman Rushdie – Les Versets sataniques – qui insultait l'islam? »
« Rushdie est un bon écrivain, commence-t-il. Je n'ai pas lu Les Versets sataniques, mais quoi que contienne ce roman, il ne justifiait pas la fatwa de Khomeiny contre lui. L'islam ne donne à personne le droit de tuer. » Et de souligner le rôle de la compassion dans l'islam, en racontant un passage de la vie de Mahomet. Un jour, alors qu'il était prosterné, en prière, ses petits-fils lui sautèrent sur le dos. Le Prophète était si bon envers les plus faibles qu'il prolongea sa prière afin de ne pas déranger les enfants. En fait, il lui arrivait souvent d'écourter son sermon lorsqu'il entendait un bébé pleurer, et il interdisait qu'on abatte des arbres, même en temps de guerre. « Comment peut-on tuer au nom du Prophète?, s'interroge El Aswany. Vous voyez bien que l'islam a été horriblement mal interprété (…) »
Ce rôle de pédagogue sied naturellement à ce quinquagénaire cultivé et sociable. Voilà plus de dix ans qu'il tient ce salon démocratiquement ouvert à tous. « Je dois garder le contact avec les gens normaux », explique-t-il. Parallèlement, il tient depuis 1993 une chronique mensuelle dans un petit hebdomadaire nassériste. Il est aussi membre du mouvement Kifaya (« Ça suffit! »), qui regroupe des partis politiques, des associations de défense des droits de l'homme et autres ONG qui organisent régulièrement des manifestations contre le régime Moubarak.
Car, après des années de torpeur politique et intellectuelle, une nouvelle opposition a commencé à poindre au sein de la bourgeoisie cairote, face à un Etat de plus en plus répressif. El Aswany est le plus célèbre représentant de cette société civile très restreinte mais très active, composée aussi bien d'islamistes modérés que de jeunes bloggeurs et technophiles qui utilisent Facebook, YouTube et les SMS pour rendre compte des violations des droits de l'homme et monter des campagnes de mobilisation. « Un écrivain n'est jamais neutre, confie-t-il. Il est aussi un citoyen qui a une responsabilité envers la société dans laquelle il vit. » Et il considère que sa propre responsabilité n'a jamais été aussi grande, alors que 80 millions d'Egyptiens, pauvres pour la plupart, subissent chômage élevé et inflation galopante, et que les politiciens sont de mèche avec des hommes d'affaires pour brader la propriété publique. « Nous connaissons la pire période de notre histoire. Les inégalités n'ont jamais été aussi extrêmes, et le gouvernement égyptien a échoué dans tous les domaines : santé, éducation, démocratie, tout (…)»
Hemingway et Shakespeare, plutôt que Bush
Un après-midi, dans sa clinique dentaire du Caire, il me confie : « Il y a tant de talents dans ce pays. Nous méritons tellement mieux. Malheureusement, un dictateur ne respecte pas ses propres citoyens. Notre Premier ministre a dit un jour que le peuple égyptien n'était pas prêt pour la démocratie. Mais nous avons eu le premier Parlement du monde arabe. Dans les années 1920, un Premier ministre lui-même a perdu son siège au cours d'une élection, tant le processus était transparent. »
L'ardeur d'El Aswany au sujet du potentiel inexploité de l'Egypte lui vient peut-être en partie de son père, Abbas El Aswany, un écrivain connu dans Le Caire d'après 1952, un représentant de l'intelligentsia qui fit de cette ville la capitale virtuelle du monde arabe. « Mon père appartenait à la génération instruite des années 1940, qui avait lutté contre les Britanniques. Nous recevions à la maison des peintres, des écrivains, des cinéastes, qui parlaient avec passion de tout ce qui concernait l'Egypte comme s'il s'agissait de problèmes personnels. Et tout le monde était ouvert. Ceux qui voulaient prier priaient, ceux qui voulaient boire buvaient, ceux qui voulaient jeûner jeûnaient (…) »
Des rêves d'un autre temps?
L'Immeuble Yacoubian fut publié en 2002 par un éditeur privé du Caire « Au bout de deux semaines, il m'appelle pour me dire : “Je n'ai jamais vu ça, c'est phénoménal : le livre est épuisé.” Evidemment, j'ai changé d'avis quant à l'émigration. » El Aswany a récemment croisé le responsable qui avait rejeté son livre : « Je lui ai pardonné. À cette époque-là, je me battais pour publier à 2000 exemplaires. J'en ai vendu 160.000 en un an, en France seulement (…)»
* Cet texte est paru dans le New York Times Magazine le 27 avril 2008. Il a été traduit de l'anglais par Laurent Bury et publié par Books magazine.


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