Le point faible du gouvernement Ghannouchi était l'absence manifeste de la lisibilité de son projet de transition. On n'a pas compris ce que ce gouvernement faisait ni ce qu'il avait l'intention de faire. Même les échéances constitutionnelles ne semblaient pas faire pression sur l'agenda de ce gouvernement. Avec son mutisme total et une obscurité de visibilité, les gens ne comprenaient pas l'opportunité du Gouvernement de Ghannouchi, alors il fallait qu'il parte. Mais au lieu de partir dans les règles de l'art, on s'est réveillé sur le fait qu'une personne a remplacé une autre, exactement de la même manière que M. Foued Mbazaâ a remplacé Ben Ali, dans le flou. Au lieu que M. Ghannouchi présente la démission de son gouvernement au président intérimaire il s'est suffi de présenter sa propre démission. Encore un geste gauche qui prouve que notre classe politique n'a jamais fait de politique, qu'elle agit en symbiose avec sa culture du haut fonctionnaire en attente d'un ordre à exécuter, dépourvue de toute initiative et d'imagination et de savoir faire. Cette attitude de prise de décision, ou plutôt l'absence de la prise de décision à défaut du leader qui donne les ordres, montrent à quel point les hauts commis de l'Etat n'arrivent pas à assimiler les profonds changements dans la mentalité des citoyens. Les ministres, les Directeurs Généraux, les gouverneurs, les nouveaux responsables nommés ont du mal à comprendre et assimiler la grogne des gens. Ceci s'explique par l'écart de la mentalité entre la logique de la gouvernance politique classique qui avait l'habitude de l'obéissance et l'exécution des ordres et la révolte d'un peuple avide de changement. Entre la culture de la soumission et la culture de la liberté il y a des années lumières et le courant ne passera jamais. Les premiers sont disposés à gérer les affaires de la même manière qu'auparavant alors que le peuple aspire à des changements radicaux à tous les niveaux. Les responsables politiques réclament un climat calme, stable et tranquille pour qu'ils puissent continuer à travailler, le peuple demande des comptes, exige des purges et réclame des jugements qui concrétisent cette volte face sociétaire. L'entorse et le claquage de notre société actuelle se traduit par une panne de leader ou de centre de décision pour les politiques, ce qui explique en partie leurs déficits et leurs incapacités, et un peuple qui veut tout simplement rompre avec cette architecture de pouvoir qu'il a fait refouler. Notre classe politique continue à croire que le peuple a uniquement besoin de quelqu'un qui le gouverne et continue à croire qu'elle est la seule à pouvoir le faire, alors qu'en réalité le peuple veut sa propre gouvernance, et c'est son droit le plus absolu. Ce n'est pas une fatalité que nos « fonctionnaires de la politique » continuent à gouverner, ils peuvent faire autre chose, prendre simplement leurs retraites après une vie passée dans les coulisses du pouvoir. Tant qu'ils ont fait preuve qu'ils étaient, et le sont encore, de simples fonctionnaires dans un système totalitaire et pourri, ils ne doivent en aucun cas dépasser l'âge légal de la retraite. Cette Révolution est une chance pour les jeunes de prendre les commandes du pays, construire une nouvelle société avec de nouvelles règles. Les Européens, les Américains, les Russes et même les Iraniens ont tous gagné par l'aboutissement de leurs révolutions. Ils n'ont pas maintenu leurs anciens dirigeants ni leurs anciennes institutions, ils ont créé et construit leurs propres systèmes d'après Révolution complètement différents de ceux des régimes déchus. Quand on dit qu'ils ont tous gagné, on entend par là que toute la Société, toutes les couches, tous les secteurs d'activité, tous les services publics, toutes les générations et les pyramides d'âges, hommes et femmes ; tous ont gagné Cette vérité historique est aussi juste pour les Tunisiens, elle est aussi à notre portée parce qu'elle résulte d'une loi universelle et non pas d'une particularité tunisienne. Il faut que notre classe politique ait conscience de l'inéluctable changement qui secoue notre société. Toute opposition à ce changement nous fait perdre encore du temps, tant précieux, dans cette phase transitoire et ne participe qu'à la défiguration de ce nouveau né. L'opposition à cette inévitable mutation de la société crée des entorses qu'on va payer cher, et nous sommes entrain de la payer, par l'absence de la sécurité, l'éclatement structurel de l'Etat, le ralentissement et même la paralysie de l'activité économique, l'amplification du chômage, l'encouragement des activités informelles au détriment d'une économie structurée et saine et surtout le risque de la décomposition de l'Autorité Publique. Une révolte : c'est une révolte ! Une fois encore, on rappelle à nos vétérans qu'il est temps de se reposer, qu'il est temps d'arrêter le seul métier qu'ils ont exercé tout au long de leur vie ; celui de commander. Que ce métier soit, dorénavant, un métier à retraite et non pas éternel. Personnellement j'ai du mal à comprendre le recours systématique et maladif de certains à nos anciens carriéristes politiques pour nous gouverner. Pourquoi ne pas permettre aux jeunes d'exercer leurs droits naturels de gouverner ? Pourquoi ne pas comprendre une fois pour toute la vérité, pourtant claire comme bonjour, que la vieillesse et l'éternisation de la classe politique est à l'origine des toutes les catastrophes au Monde Arabe ? Le premier ministre britannique n'a pas la quarantaine, Obama n'a pas encore la cinquantaine alors qu'il est à la fin de son mandat, le Premier ministre Russe a aussi le même âge. Les exemples ne manquent pas pour prouver que nous sommes des mortels et que le peu de vie qu'on dispose doit être mis au service des autres juste au moment opportun, celui de la jeunesse, si on s'occupe de la charge publique. Il ne faut pas rater ce rendez-vous avec l'Histoire pour concrétiser notre chance d'avoir fait une Révolution. Il ne faut pas non plus rater le train pour une vie meilleure et une société nouvelle, démocratique active, créative et jeune. Une fois pour toute, notre classe politique doit sortir de cette chimère et cette illusion de sa capacité à connaître seule l'intérêt du pays, de s'approprier elle seule l'aptitude de gérer les affaires de l'Etat et de reconnaître qu'il s'agit vraiment d'une révolution et non d'un simple changement. Cette Révolution nécessite, entre autre, un bouleversement total de nos manières de voir les choses. Une Révolution se construit et ne s'hérite pas. Elle ne peut pas se confondre avec une action de réforme. A défaut d'assimiler cette vérité et agir en conséquence, il faut s'attendre à ce que cette Révolution va se faire d'elle-même, bon gré, mais d'une manière césarienne. On va la subir coûte que coûte par effet de contagion qui agite la région. Nous ne sommes plus seuls dans ce cyclone de révoltes qui traverse le Monde Arabe. Il n'a jamais été sage ni rationnel de ramer contre le vent.