Zarzis, ville côtière du sud tunisien qui offre aux touristes un visage tourné vers la mer, ancré dans le désert. Magnifique paysage qu'on peut voir en longeant la plage, ou alors en prenant la baie pour arriver à la zone touristique. Le port, la ville, les palmiers et l'architecture… Un beau panorama alliant le moderne au traditionnel, le berbère à l'européen… Il est vrai qu'à Zarzis, un touriste peut tout s'offrir, de la relaxation aux sports du désert… Nature pittoresque, hôtellerie et services, chaleur humaine, soleil et plage, offrent un séjour au goût exquis de paradis Même si Zarzis peut se targuer d'être une ville qui peut tout donner aux touristes, il n'en demeure pas moins qu'elle a un tout autre visage, peu généreux, malgré ses atouts, avec la population locale. Ainsi, lorsque plus de 6000 personnes – dont pratiquement 80% sont de la ville – ont essayé d'émigrer clandestinement au lendemain de la chute de Ben Ali, cela n'a point surpris les habitants. Mais cette fois-ci, le voyage se révéla un aller sans retour pour beaucoup de personnes, qui ont péri en mer ou ont carrément disparus… Zarzis affiche aussi un autre visage, celui d'une mère qui pleure son enfant sans savoir s'il est mort ou encore en vie, le visage d'une sœur qui pleure son frère dont le corps n'a encore pas été retrouvé. Zarzis porte aujourd'hui en son sein la douleur d'êtres humains affligés et qui souffrent, sans qu'on leur prête, malheureusement la moindre attention… Mouna Zaîr :“Mon fils et mon frère à la fois…” C'est dans la petite chambre d'Abdallah Belhiba son fils, que nous avons rencontré Mouna. «Il avait 17 ans, élève en 1ère année secondaire tout en se débrouillant l'été comme peintre et pêcheur » nous dit Mouna… Au coin de la chambre, les casquettes d'Abdallah sont tachées de peinture, à côté un bureau où l'on pouvait voir sa petite photo accrochée et en face un lit. Ce sont là tout le ornement de la chambre d'un adolescent tunisien qui dépité désespéré qu'il était d'un avenir dans sa ville natale et profitant du désordre qui régnait en Tunisie les jours suivant la chute de Ben Ali a choisi de prendre le large, mais n'a point réapparu depuis… «Abdallah est parti le 11 février. Mon frère, M'Hamad Zaîr, qui a 23 ans et qui travaillait dans le café d'un hôtel a choisi de l'accompagner pour s'en occuper et le protéger, il ne voulait pas laisser son neveu s'embarquer seul dans l'aventure» Témoigne Mouna, sans que ses larmes ne cessent de couler tout au long de la conversation qu'on a eue avec elle. «Je ne voulais pas qu'il parte, son père et moi, nous lui avons acheté une vespa pour l'occuper et lui éviter de partir, mais il s'obstinait à le faire, il n'entrevoyait aucun avenir ici. Il a déjà été deux fois refoulé sur les embarcations partantes clandestinement. La première fois, il n'avait pas d'argent, la seconde, quelqu'un connaissant son père lui a demandé de quitter le bateau. J'ai alors fini par lui demander de me prévenir la prochaine fois qu'il tentait de partir, je ne pouvais laisser mon fils prendre la mer sans argent et il était décidé à le faire de toutes les façons». Les sanglots l'étouffèrent à ce stade et Mouna, regard évasif, vidé et assombri par les larmes a dû faire un effort surhumain pour continuer… «Ses amis partis le 14 janvier lui ont donné l'espoir qu'il pouvait réussir à passer de l'autre côté de la rive, à commencer une nouvelle vie… Il prit alors, en compagnie de son oncle, le bateau qui s'est brisé en mer… Les amis de mon fils à bord avec lui m'ont rapporté, et ils persistent que le bateau des gardes-côtes «Liberté 302» avait attaqué le bateau le brisant. La version officielle fut que les immigrés clandestins avaient jeté des pierres en direction de «Liberté 302». Mais franchement, a-t-on jamais entendu parler d'immigrants clandestins qui ont toujours un souci de poids transporter des pierres avec eux en plein mer ? On les a également attaqués dans les eaux internationales. D'ailleurs on a mis 7 heures pour les ramener à Sfax. Mon fils sait nager, il est pêcheur, ses amis le voyant dans les eaux lui ont lancé la corde, mais il a refusé de s'y accrocher leur disant qu'il attendrait de retrouver son oncle avant de remonter… Ce fut la dernière fois qu'on l'a vu. Je veux savoir ce qui est arrivé à mon fils et mon frère, s'ils sont morts, qu'on retrouve leurs corps, s'ils sont arrivés à Lampedusa en grimpant sur un autre bateau, s'ils ont échoué quelque part… Je veux savoir la vérité… La presse tunisienne a nié qu'il y a eu des disparus, et mon fils ? Et mon frère ? Et ceux qui sont avec eux et qui ne sont pas encore réapparus ? Ne comptent-ils pas ? Pourquoi ce mensonge ? La version officielle dit également qu'ils avaient embarqué dans un vieux bateau qui n'aurait pas tenu et qui ne peut embarquer plus de 8 personnes. Encore un mensonge, car ils sont partis dans un bateau tout neuf – de deux ou trois ans – de 20 mètres de longueur, dont la puissance est de 300 chevaux et la capacité est de 120 personnes. Et la mer était calme ce jour là ! Aucune tempête ne s'était déclenchée, il n'y avait même pas de vent.» On ne peut imaginer la douleur et l'angoisse de Mouna, mais l'on sait tous combien cette double affliction pourrait être dure. Ne pas savoir surtout, se coucher toutes les nuits en se demandant où ils sont et que sont-ils devenus et se réveiller avec la première lumière de l'aube, si jamais on avait pu fermer l'œil, avec l'espoir qu'une nouvelle serait enfin apportée… ça use… Ainsi, une autre aventure a mal tournée. Nous avons essayé de savoir pourquoi Abdallah et des centaines de jeunes comme lui ont choisi de quitter la Tunisie en sachant très bien que leur existence même était en jeu… D'ailleurs, cette catastrophe a elle seule a causé 5 morts et 14 disparus selon M. Farouk Belhiba, le père d'Abdallah. Walid Fallah, un jeune Tunisien de Zarzis, nous explique que la situation politique floue au lendemain de la chute du régime n'a fait que s'ajouter à la situation économique et sociale à Zarzis. «En effet, ils ont du potentiel ici» nous dit Walid, «La pêche et le tourisme sont les domaines essentiels ici, nous avons également une usine de Thon et une zone franche qui offrent des opportunités de travail. Il nous manque néanmoins les meilleures méthodes pour embaucher ces jeunes et les intégrer dans le monde professionnel. A Zarzis, il n'y a point de facs ni de salle de cinéma, la maison de jeunes, qui à la base se trouve démunie est aujourd'hui fermée. Ces jeunes, n'ont plus d'espoir, avec ou sans Ben Ali, rien ne change pour eux, tant qu'ils ne voient pas de réelles opportunités d'embauche…»