Il est de coutume chez nos artistes que dès lors que leurs oeuvres, si l'on peut parler d'oeuvre bien entendu, ne fonctionnent pas comme ils le désirent, ils s'en prennent à la critique la rendant responsable de l'échec ou du succès mitigé qu'elles rencontrent auprès du public. Ces artistes ne font pas ou ne veulent pas faire la différence entre la médiatisation promotionnelle et la critique à proprement parler. Mais en même temps et comble du paradoxe, ces mêmes artistes se plaignent de l'inexistence de l'activité critique. Ils osent également appeler à ce que cette activité prenne un réel essor du fait qu'elle est nécessaire pour accompagner leurs créations. Dans la réalité, et on a pu le constater en plusieurs occasions, les artistes de manière générale n'aiment pas la critique et font feu de tout bois lorsque celle-ci aborde leurs oeuvres. Ils n'admettent pas qu'on puisse juger leurs produits en émettant quelques réserves. Ils considèrent que toute critique qui ne loue pas un travail est négative et par conséquent destructive et appellent souvent à une critique constructive. La critique dite négative est celle qui évite d'encenser bêtement une création. Son auteur est, du coup, désigné du doigt et on le traite de tous les noms parce qu'il a osé donner son point de vue. On doute même parfois de son patriotisme car pour ces artistes un bon critique doit soutenir de manière inconditionnelle et sans réserve l'activité artistique de son pays quelle que soit sa valeur. La bonne critique, la critique constructive, est celle qui fait les louanges et distribue les phrases qui vont dans le sens du poil de l'artiste. Dans le cas contraire, le critique est traité de complexé, voire de malade, qui cherche à se distinguer en ramant à contre-courant. Cette forme d'autisme de la part de ces artistes, qui n'acceptent pas les avis contraires, est inquiétante parce qu'elle ne fait pas avancer l'art. Elle enferme les auteurs et les retranche dans leurs convictions. Ils croient avoir toujours raison et que ce qu'ils font n'est pas discutable. Cette attitude maladive d'enfermement sur soi et de refus de l'autre, montre à quel point nos arts sont restés en deçà des attentes du public et de leurs réalités. Cela traduit, sans conteste, l'absence de culture de tolérance concernant une opinion différente contraire de la sienne. Dans ce cas, tout ce qui est contraire à leurs convictions est tout simplement rejeté. C'est aussi une question de mentalité. On n'accepte pas la critique lorsqu'elle nous concerne mais on l'admet lorsqu'elle est dirigée contre un autre. N'est-ce pas là une forme d'hypocrisie, de mauvaise foi ou d'inconscience ? C'est ainsi qu'on interdit la libre expression mais au même moment on la revendique lorsqu'elle est destinée aux autres. Il y a là une forme de fanatisme inadmissible et qui doit être totalement banni en cette époque où la Tunisie a gagné sa liberté. Aujourd'hui avec la démocratie, les voix sont devenues plurielles ce qui ouvre les portes au respect, à la tolérance et la différence. Alors qu'en sera-t-il de nos artistes ? Il faut oser espérer que la relation artiste-critique change. Pour ce faire, il n'existe pas mille solutions : il faudrait que l'artiste accepte la critique, toute forme de critique qu'elle soit négative ou destructrice et qu'il admette une fois pour toutes que la presse est désormais libre et qu'un critique a son propre point de vue, qu'il plaise ou pas.