«Pas d'art sans désordre», une citation de Ben, artiste inconnu lyonnais, rejoint celle de Nicolas Boileau qui disait «un beau désordre est un effet de l'art» ou encore celle de Louis Jouvet à propos du 4e art «le théâtre est le désordre incarné et pour faire l'éloge du théâtre, il faut commencer par faire l'éloge du désordre». Tout cela pour dire que les expressions artistiques quel que soit leur genre : cinéma, théâtre, arts plastiques, littérature ou danse, n'aiment pas les choses ordonnées. Elles ont plutôt tendance à les bousculer et triturer pour leur donner un sens autre, subversif peut-être, en tout cas dérangeant et ne laissant pas indifférent. Le fondement de l'art, c'est sa puissance d'ébranler la norme. De manière générale, la société s'accommode bien de ce qui est normal et ne favorise pas beaucoup le brouillage des systèmes mis en place. Certains artistes abondent dans le sens du public profane, en prenant la précaution de ne pas déranger sa sensibilité, de ne pas aller au-delà de ce qu'il espère pour que ni son œuvre, ni lui-même ne soient rejetés ,voire accusés d'égarement ou de folie. Face aux conséquences probables qui peuvent résulter du rejet public de l'œuvre et de son artiste, ce dernier, s'il cède aux concessions des uns et des autres, peut voir son champ d'initiative se restreindre petit à petit. L'art qui dérange, bouscule les conventions et refuse les modèles préétablis. Or, à bien des égards, le pouvoir, quel qu'il soit, n'accepte l'art que sous sa forme condescendante. Celle réconfortante et non récalcitrante, polie et non polissonne, reproductrice et non créatrice à outrance. Enfin, celle qui cautionne la superficialité et le conservatisme. Il n'admet pas que l'art vrai soit celui capable d'ébranler la norme face à l'autre art ankylosé, enfermé dans l'étau du conformisme. Les vertus de l'art sont qu'il permet à celui qui le pratique une grande liberté et non un libéralisme. La liberté donne des ailes et le libéralisme met à l'écart l'artiste qui ne cherche qu'à se remplir les poches en vendant son âme. Un art rangé, consensuel et sans relief n'a aucun intérêt. S'il ne questionne pas et s'il n'est pas en rupture avec la culture institutionnelle, il s'inscrit dans le prolongement de cette culture. La discipline artistique doit être au-dessus de tout conditionnement qu'il soit politique ou économique. L'artiste a une posture et un statut particulier dans la société lui donnant la possibilité d'oser s'engager dans des chemins de traverse et laisser les sentiers battus à ceux qui ont choisi de s'asservir. Cultiver la différence et se placer dans une trajectoire singulière permettent d'engager l'art dans une voie créatrice libre de toute concession. Picasso, Dali, Koons et d'autres noms des arts plastiques, les cinéastes Almodovar, Kusturica, les Frères Coen, Kiarostami...ont bousculé l'ordre établi et trouvé leur salut dans des démarches personnelles atypiques, créant de la sorte leur propre style, loin de toute spéculation financière et de tout calcul politique. Leur art a dépassé le cadre de leurs pays respectifs, pour devenir universel parce qu'il se place au-dessus de toutes les transactions.