Il était à peine midi, hier, quand une bataille rangée éclata entre des vendeurs de rue à Bab el Jazira, Charles de Gaulle et du côté de Boumendil. Une cinquantaine de jeunes des deux côtés, armés de gourdins, d'armes blanches, de gros objets métalliques et de pierres, terrorisèrent les passants et les commerçants riverains de toute la zone évoquée. Entre eux, l'affrontement était sans concession ni pitié. On sentait les deux clans bien remontés l'un contre l'autre : dans les propos très violents qu'échangeaient ces marchands, dans l'énergie effrayante avec laquelle ils s'agressaient et dans l'usage abusif et incontrôlé qu'ils faisaient de leurs « armes », on pouvait lire une explosion de haine et de violence rentrées vraiment difficiles à maîtriser. D'ailleurs dans un premier temps, les agents de l'ordre dépêchés sur les lieux évitèrent l'affrontement direct avec les deux bandes, et l'on préféra les repousser vers la rue de Bab El Jazira et épargner ainsi les grandes avenues, les commerces et les administrations du centre –ville. Ces agents étaient presque tous munis de gourdins et semblaient déterminés à en faire usage contre le premier agitateur qui s'aventurerait au-delà de Bab El Jazira ou qui s'en prendrait à eux. Mais entre-temps, la violence de la bataille qui se déroulait en direction tour à tour de Boumendil et de la rue Mongi Slim causait des dégâts plus ou moins importants dans les biens et les locaux environnants. Qui est derrière ces troubles ? Pour comprendre ce qui se passait, nous nous sommes d'abord adressés à un jeune protagoniste qui fuyait les jets de pierres et l'assaut du clan adverse ; il n'avait pas le temps de bien nous expliquer mais il en avait pour haranguer les autres garçons de sa bande et les appeler à contre-attaquer. Un peu plus tard et après avoir couru le risque de recevoir un quelconque projectile sur la tête ou le corps, nous atteignîmes difficilement la rue Charles de Gaulle à l'entrée de laquelle se postèrent plusieurs voitures de police et de nombreux agents. L'un d'eux nous renseigna en ces termes sur les causes de la bataille : « Vous voyez tout ce monde. Nous sommes tous Tunisiens, n'est-ce pas ? Eh bien, ce n'était apparemment pas ce sentiment qui présidait aux rapports entre les deux bandes que vous voyez s'agresser mutuellement. Cela a commencé par une agression verbale entre des vendeurs originaires de Jelma (Sidi Bouzid) et des marchands de Mellassine, Sidi Hassine et de la Cité Hélal. Ces derniers traitaient leurs adversaires d'intrus, d'étrangers à la capitale et les appelaient à rentrer dans leur bled natal pour y exercer leur commerce sauvage. Les Jelmiens répondaient que la Tunisie leur devait d'avoir, les premiers, déclenché la Révolution. D'une provocation à l'autre, ils en sont venus aux mains et par la suite à l'affrontement collectif. » A midi trente, les agents de l'ordre menèrent leur assaut sur les belligérants en lançant des bombes lacrymogènes et en pourchassant les fuyards. Lorsque nous quittâmes les lieux, il était une heure de l'après-midi ; la zone donnait l'air de reprendre le calme très précaire qui y règne depuis maintenant plus d'un mois. Une chose est certaine à présent : tant que l'on n'a pas trouvé de solution définitive au commerce parallèle et qu'on n'a pas organisé les activités du secteur informel, la capitale et toutes les villes du pays resteront sous la menace de ces troubles certes sporadiques, mais d'une violence inouïe. Notre commerce et notre vie publique se passeraient bien de telles agitations. Il y a même lieu de se demander si ces règlements de comptes ne sont pas provoqués à dessein par d'autres parties qui trouvent visiblement leur compte dans l'insécurité et le désordre généralisés !