• Traque des marchands ambulants, principalement les «Jelmiens» accusés d'appartenir aux circuits mafieux des Trabelsi • La police aura pris tout son temps pour laisser la situation dégénérer…Puis la matraque et les bombes lacrymogènes ! Hier encore, les violences se sont poursuivies du côté de Bab El Jazira et Bab El Fella : dès avant huit heures du matin, des groupes de marchands ambulants de la zone s'attaquèrent aux passants, aux commerçants et aux élèves en signe de revanche contre les attaques dont ils disent avoir été la cible depuis samedi. D'ailleurs, les habitants du quartier affirment avoir vécu trois nuits de terreur et « chaque matin, ajoutent-ils, nous rusons pour sortir de chez nous et aller travailler. C'est infernal, notre zone ne supporte plus ce surnombre de vendeurs de rue et ce mouvement incessant de voitures et de personnes. Pour ce qui est des événements sanglants de ces derniers jours, ils traduisent justement le seuil intolérable atteint par les débordements de tous genres que subit notre quartier. Nous en voulons aux marchands « jelmiens » qui ravivent maintenant un esprit tribal que nous croyions révolu et recourent à une violence inouïe pour soi-disant défendre leurs intérêts ; mais la situation explosive ne date pas d'aujourd'hui ; ces mêmes vendeurs qu'on traque en ce moment faisaient la loi du temps de Ben Ali. Les autorités les craignaient et réagissaient mollement contre leurs exactions ; tout le monde sait que nombre d'entre eux traitaient avec la mafia des Trabelsi. Bon, nous n'avons rien contre cette traque, mais nous aimerions que la zone retrouve une fois pour toutes, l'ordre et le calme. Ce n'est pas en arrêtant quelques jeunes vendeurs que l'on y parviendra. » Traques et matraques suffisent-elles ? Les scènes auxquelles nous avons assisté hier de 8 heures du matin jusqu'à midi ne rassurent guère : un air de vindicte emplissait les lieux. Les élèves du lycée de la rue de Russie scandaient des phrases et des chants très obscènes à l'adresse de leurs agresseurs du jour et répondaient du tac au tac aux jets de pierres de ces derniers. La police laissait faire au début et se faisait même aider par les adolescents extrêmement remontés contre les marchands Jelmiens. Les bombes lacrymogènes lancées du côté de Boumendil n'empêchaient pas les deux clans de poursuivre de plus belle leur bataille rangée. Les projectiles fusaient de partout et lorsque les agents de l'ordre s'avancèrent plus nettement en direction des ruelles de la Médina où se postaient les marchands traqués, ces derniers montèrent sur les toits des maisons et des immeubles et de là-bas continuèrent à bombarder la zone avec toutes sortes d'objets : grosses pierres, bombes aérosol, objets métalliques, marchandises pillées etc. A partir de 10 heures, les policiers prirent d'assaut les toits de tous les immeubles et pourchassèrent les fuyards dans les ruelles du quartier : on arrêta sous nos yeux plus d'une vingtaine de jeunes dénoncés pour la plupart par les habitants de la Médina. A midi, la zone retrouva un semblant de calme mais la traque se poursuivit tout comme les arrestations de suspects. Interrogés sur le nombre des agresseurs arrêtés jusqu'alors, les policiers étaient plutôt imprécis dans leurs réponses. Nous avons par ailleurs constaté qu'ils ne facilitaient pas toujours la tâche des journalistes et des cameramen qui tenaient à couvrir la traque et les violences de très près. Nous devons à la vérité aussi de reconnaître que les badauds et les riverains de la place de Bab El Fella (noire de monde même sans événement exceptionnel) dérangeaient quelque peu le travail des agents. En effet, même si la zone était devenue très risquée pour les piétons et les automobilistes, on pouvait constater aussi que plusieurs commerçants avaient choisi de laisser leurs boutiques ouvertes ; le marché de Bab El Fella accueillait toujours la même foule de ménagères et les poissonniers de la rue Essabbaghine (en plein champ de traque) ne tardèrent pas à exposer leurs cageots et à servir leurs clients. Certes, tout Bab Jedid peine aujourd'hui à déblayer les immondices amoncelées depuis samedi dernier au bord de ses trottoirs ; mais à notre humble avis, sans doute partagé par bien des habitants du quartier et de ses environs, le nettoyage le plus urgent dont a besoin la zone a trait à l'organisation et à l'assainissement du circuit du marché parallèle, véritable plaie qui refuse de cicatriser à Tunis et ailleurs. Peut-être même qu'on ne cherche pas à la soigner convenablement. En tout cas, ce qui se passe aujourd'hui avec le flux incessant des vendeurs de rue dans les faubourgs de la Médina et en centre-ville, n'est guère un phénomène passager qu'on peut éradiquer à coups de matraque ou de bombes lacrymogènes.