Il n'est nullement aisé de remettre en question la place que doit occuper le communisme sur l'échiquier politique national. Cette philosophie et ses adeptes étaient parmi les remparts de résistance les plus solides à la main mise totale de Bourguiba et de son infernale machine à réprimer sur la vie et les acquis du peuple tunisien dés la fin des années 60 et les souffrances que le pouvoir dictatorial a fait subir à ses militants furent à la limite du supportable même pour les plus aguerris d'entre eux. Hamma Hammami, figure emblématique d'une gauche radicale se plaçant dans la ligne pure et dure des irrécupérables, avec son lourd passé de prisonnier et de clandestin, force le respect même de la part de ses ennemis de l'ancien pouvoir et de ceux qui s'y sont opposés. Porte parole et « leader » incontournable du Parti Communiste des Ouvriers Tunisiens, il fait partie de ces militants de longue date que le public est en train de découvrir depuis l'avènement de la Révolution et les obstacles qu'elle a abolis. Si sa vision de la « société idéale » peut paraître désuète pour certains, elle n'est pas pour autant dépourvue d'intérêt. Reste que, nonobstobant son programme économique et social, celui qui a trait au culturel nous paraît d'une naïveté exemplaire, pour ne pas dire qu'il relève d'un temps que -comme le dit Aznavour- les moins de vingt ans, ne peuvent pas connaître. Nous n'avons pas pu avoir accès aux détails mais les quelques points qui délimitent son programme semblent être tout droit puisés dans les vieux tiroirs du grand bloc communiste du début du siècle dernier.
Recherche scientifique
Le premier point met l'accent sur la liberté de la création et de la recherche scientifique. Tout le monde s'accorde (à part quelques dizaines d'illuminés gravés dans la préhistoire de la modernité) que la liberté de créer est une condition sine qua non à l'essor et à l'émancipation des arts. Même si cette analyse commune à force d'évidence peut s'avérer simplette pour ceux qui peuvent creuser un plus profondément l'histoire surprenante et ponctuée de coups de théâtre de la création artistique. Car aussi paradoxale que cela puisse paraître, les dictatures n'ont pas pu toujours venir à bout de la résistance des créateurs et se sont même avérées quelquefois génitrices de mouvements artistiques aussi pertinents et piquants que la lourdeur acérée des totalitarismes. Dans ce domaine les exemples sont légion. Les contre-exemples, aussi et nous ne sommes pas là pour faire l'apologie des dictatures. Bien au contraire. Mais quand on sait à quoi se résume la notion de liberté dans les sociétés à infrastructures communistes et de l'échec plus que cuisant qu'ils ont essuyé dans la majorité (sinon la totalité) des cas dans ce domaine, l'on est en droit d'opposer quelques réserves aux programmes idylliques de leurs concepteurs. Quant à la recherche scientifique, tout le monde le sait, elle est de plus en plus tributaire des moyens dont elle peut disposer beaucoup plus que de l'environnement politique où elle est censée évoluer ; Même si ce dernier n'est pas démuni d'un poids plus que conséquent.
Activité politique
Le second point concerne la subvention publique de l'activité culturelle. Classique pour un communiste aussi révolutionnaire soit-il! Même si par les temps présents et ce, depuis quelques décennies, ce sont les pays où l'Etat ne fourre pas son nez qui sont à la pointe du rendement matériel et culturel des arts dans le monde. La France, symbole incontournable de l'intervention de l'Etat dans le domaine est en train de se faire battre à plate couture par le capital privé, les deniers publics venant à manquer et sont donc incapables de faire le poids face aux grands jongleurs de billets de banque. Par la redistribution équitable des espaces culturels sur toutes les régions du pays qu'est le troisième point du programme, Hammami veut, sûrement, parler du devoir de doter tout le pays d'infrastructures propres au domaine de la culture et des arts. Il n'y a rien à dire à cela. De même que le pouvoir -surtout celui imposé par l'innommable second dictateur de la Tunisie- s'est échiné à construire des stades pensant ainsi endormir les Tunisiens (le football étant, après la religion, le second opium des peuples) il est du devoir des prochains décideurs du pays de développer le parc national des espaces de représentation, de création et d'exposition. Venons-en maintenant au quatrième point qui se rattache à la création de comités élus qui auront pour tâche la distribution des subventions de l'Etat. C'est tout simplement rigolo à force de… naïveté et d'étroitesse de vue. On ne va pas se débarrasser des multiples comités et commissions engendrés par l'ex-parti du pouvoir pour les remplacer par des structures similaires aussi angéliques et immaculées soient-elles. La politique culturelle de l'Etat doit être conçue et gérée par les instances de l'Etat en suivant une feuille de route inspirée des réalités du terrain, fondées sur des données mûrement réfléchies et œuvrant à l'essor du secteur. Les Musées d'Arts Modernes formés de conseillers au dessus de tout soupçon et ayant une fonction consultative nous semblent plus adaptés aux temps modernes que ces comités qui sont, dans leur majorité, bons à être jetés aux oubliettes. Le programme culturel du porte parole du Parti Communiste des Ouvriers Tunisiens, réduit au strict minimum pourrait servir de base pour l'ouverture d'un débat en le confrontant à d'autres propositions et avec la participation des gens de la profession, des observateurs, des analystes et des représentants de l'Etat et de la société civile. Signalons au passage que le seul programme clair, net et sans ambigüité aucune est celui des salafistes qui se résume à ce qui suit et qui ne supporte ni ne nécessite aucune remarque. « Non ! Pas de culture. Car elle est au service du diable. Maudit soit-il ! »