Dans une lettre relativement récente adressée au ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche scientifique, la Fédération Générale de l'Enseignement Supérieur a demandé, entres autres, à ce que l'on procède le plus tôt possible à une évaluation et à une révision du régime d'études appelé LMD (Licence-Mastère-Doctorat) dont le projet d'établissement et de généralisation s'achève cette année, selon les prévisions officielles. Ce système a été en effet institué sans que les principaux acteurs appelés à l'appliquer ne soient d'accord avec son adoption. Ni les étudiants, ni les enseignants ni le syndicat du Supérieur n'avaient approuvé la mise en place du LMD et pourtant, comme le dénonçait le professeur Abdessalem Mahmoud dans l'un de ses articles publié dans le bulletin « l'Universitaire juin 2009), « malgré l'opposition et les réserves, le ministère de tutelle (était) ferme à faire avaler la pilule du LMD ». Pour confirmer ce qu'avance notre universitaire sur le peu d'échos que ce régime avait recueillis auprès des enseignants du Supérieur, nous sommes revenus à un document précieux présenté lors d'un séminaire sur l'évaluation préliminaire du système LMD, organisé le 2 décembre 2009 à la Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis. Il s'agit d'une enquête effectuée auprès d'un nombre conséquent de professeurs. Un régime mal venu ! On y découvre que la majorité des enseignants considèrent tout d'abord que les projets de licences proposés n'ont pas fait l'objet de concertation avec les structures concernées (départements, conseils scientifiques, conseils d'universités, commissions, assemblées générales des enseignants), ensuite qu'ils avaient une connaissance plutôt moyenne du nouveau régime, que d'autre part leurs établissements n'ont pas effectué d'évaluation de leurs moyens humains et logistiques, et surtout que le personnel administratif n'a pas été formé pour gérer le nouveau système. Dans le même sens, l'enquête nous apprend que les institutions n'ont pas mis en place de moyens supplémentaires en vue d'améliorer la formation des étudiants et que les entreprises n'ont contribué que très faiblement à la création des licences appliquées. D'autre part, les professeurs interrogés estiment que leurs institutions respectives ne se sont pas dotées des équipements modernes nécessaires et que pour les disciplines innovantes, le personnel enseignant n'a bénéficié d'aucune formation spécifique. Ils considèrent, sur un autre plan, que la mise en place des nouvelles licences les a encombrés de nouvelles tâches et de davantage d'heures supplémentaires, sans bien entendu que ce surplus de travail ne soit rétribué. Inflation de diplômes et chances inégales Pour en revenir à l'article de M. Abdessalem Mahmoud, il résume très lucidement l'ensemble de ces griefs et va encore plus loin en dénonçant les mauvais choix du ministère de tutelle et les conséquences désastreuses du nouveau régime sur la formation des étudiants et sur la valeur de leurs diplômes. En voici quelques extraits édifiants : « L'université tunisienne compte actuellement 370.000 étudiants encadrés par près de 20.000 enseignants dans presque 200 établissements qui octroient 70.000 diplômes à chaque fin d'année universitaire. Cependant, la répartition inégale des diplômés aux dépens des sections d'engineering et des TIC les a handicapés en termes d'employabilité. Seuls moins de 25 % des étudiants sont inscrits dans ces créneaux prometteurs (…) Les diplômés des filières littéraires, artistiques et des sciences sociales ont souvent moins de chances de trouver un emploi correspondant à leur formation. Le système d'orientation en vigueur reste tributaire de choix politiques dans l'enseignement supérieur. Bien qu'il fût, au départ, informatisé et programmé selon des critères plus ou moins objectifs, il commençait à devenir plus malléable et manipulable sous l'effet d'interventions et selon des critères ne correspondant pas toujours aux mérites des bacheliers. En outre, la carte universitaire doit être mise à jour afin de réduire les disparités géographiques en matière d'enseignement supérieur. Il n'est pas rare de voir de nouvelles créations d'institutions universitaires parachutées dans un « désert » culturel, scientifique et technologique (absence de grandes bibliothèques, de laboratoires, d'hôpitaux universitaires). Dans la plupart de ces institutions, le corps A est inexistant ou presque. Le LMD va accentuer l'inflation des diplômes et leur dévaluation. L'emploi des diplômés s'affaiblirait et les besoins de formation et d'éducation permanente seront plus prégnants. » Arrêter le désastre Abdessalem Mahmoud écrit plus loin : « L'année académique 2008- 2009 a connu la création de plus de 100 masters professionnels. Or, pas mal de diplômés sont sans emploi. Dans le sillage de la crise financière mondiale, les chances d'accéder à un emploi deviennent encore plus minimes … Souvent, la réalité du marché de l'emploi est régie par des critères personnels, clientélistes, politiques etc. Le diplôme n'est pas nécessairement garant d'accès à l'emploi. Il arrive souvent que des diplômés, parfois même des non diplômés, occupent des postes ne correspondant pas à leurs spécialités. L'application du système LMD est en train de se faire, bon gré mal gré, prétendant hisser notre enseignement universitaire au niveau de celui des pays avancés. Dans ces derniers, l'environnement social, technologique, scientifique, politique et culturel était plus ou moins favorable à la spécialisation, à la mobilité horizontale et verticale ; alors que chez nous, il (le LMD) est appliqué audessus de la hauteur de ses véritables acteurs.» Maintenant que le mal est fait et que les Tunisiens sont conscients des retombées désastreuses du LMD, il est peutêtre temps après la Révolution de repenser ce système en vue de l'adapter à notre environnement local et aux réelles compétences de ceux qui sont censés participer à sa réussite. Nous n'avons pas le choix, surtout après avoir vécu les conséquences dramatiques, voire tragiques, du chômage des diplômés sous nos latitudes.