Se sentant diabolisés, « délégitimés » même, les forces de l'ordre sont dans une situation pour le moins équivoque : doivent-elles intervenir ? Si, oui, quand et comment ? Les débordements dans les stades ne datent pas d'hier. Bien mieux (ou pire) ils étaient systématiques du temps de l'ancien régime et même, latents du temps de Bourguiba, qui avait même pris des décisions graves comme les dissolutions de l'Espérance et de l'Etoile ! C'est que les stades étaient l'ultime exutoire du malaise social, l'arène où se libéraient les passions, l'espace où l'on insultait tout et rien, où l'on pouvait donner des coups, en recevoir, libérer des fumigènes et insulter la police et, donc, le régime. Normalement la donne devrait changer, aujourd'hui. On manifeste partout, dans les rues, dans les entreprises et c'est aussi le grand déballage. Or, ce qui s'est passé à Bizerte est un peu trop schématique, un peu trop spontané, pour être spontané justement, et trop quadrillé pour ne pas être organisé et minutieusement préparé. Les Bizertins disent qu'ils n'avaient encore jamais vu ces têtes et que le seul fait qu'elles aient bondi sur le terrain à partir de la même enceinte (entre le virage et le gradin) signifie, à leurs yeux, qu'il y avait complot. Soit. Les résidus rcédistes embrigadés parce qu'on en a vu des jeunes et de très jeunes mêmes ? Possible. Mais là où c'est quand même inquiétant c'est lorsque les forces de l'ordre n'interviennent pas. Les responsables et les agents affirment craindre une violente réaction de l'opinion publique au cas où ils interviendraient. Oui, mais qu'entendent-ils par réaction et quel type d'intervention, justement ! Le bâton (plutôt, la matraque) ou la carotte ? Pour le rétablissement de la citoyenneté, pour le retour de la confiance entre les forces de l'ordre – dont nous continuons à croire qu'elles sont dévouées pour le bien de la nation (les méchants n'échapperont pas à la justice) – il est temps de changer de perception de l'ordre et des deux côtés. Il n'y a pas que le bâton (la matraque) et, par ricochet, il n'y a pas non plus que son corollaire : la carotte !