« La Révolution tunisienne, l' histoire et la littérature », tels sont les principaux axes de réflexions de la conférence qui a réuni le 22 avril 2011 à Tunis, l' écrivain et poète arabe Adonis et un large public composé d' universitaires, journalistes et étudiants et qui s' est achevée par un débat sur les enjeux de la Révolution tunisienne. La rencontre a débuté par l' intervention du sociologue tunisien Tahar Labib résidant au Liban, autour du caractère imprévu voire ‘'incognito'' de la Révolution tunisienne, tout en posant les questions suivantes: Comment peut-on aborder cette Révolution? Et quelle nouvelle pensée intronise-t-elle? Quels sont les outils méthodologiques qui pourraient aider à analyser son déclenchement vu que cette Révolution se caractérise par la spontanéité et l' absence de "leadership" politique sur le terrain au moment où elle a eu lieu? s' interroge le conférencier. « L' existence précède l' essence » Tout au long de sa communication, Tahar Labib a essayé de proposer une définition de la Révolution tunisienne qui était à ses yeux, hors pair car c' est la première révolution arabe qui marque le XXIe siècle et qui a frayé d' une manière ou d' une autre la voie aux autres pays arabes. Il s' agit bien d' un acte révolutionnaire, d' ''un bougement'' pour reprendre ainsi un terme de l' écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau, voire d' une accumulation de faits injustes et oppressifs, pesant lourd sur le peuple et débouchant, en fin de compte, sur une Révolution. En effet , toute révolution n' est qu'un processus de haut et de bas, une sorte de dynamique qui pourrait bien être appréhendée dans le sillage de la philosophie existentialiste qui prêche que "l' existence précède l' essence", autrement dit, c' est la Révolution qui forge le vécu et l' avenir des peuples, dit-il. C'est peut-être dans ce sens là que Albert Camus dans ce son œuvre « L' homme révolté » distingue du point de vue terminologique, la nuance fort significative entre Révolte et Révolution. La première s' effectue au sens individuel alors que la seconde au collectif, c'est-à-dire, s' opère au niveau d' une communauté donnée aux prises avec l' injustice et l' assujettissement d' où l' exemple des révolutions citées par le conférencier :la Révolution française, bolchévique et chinoise qui ont contribué à créer une certaine dynamique au sein de leurs sociétés. "C'est la Révolution du possible", dit-il, qui s' est investie de nouvelles perspectives sociopolitiques, culturelles et économiques dont rêvent les jeunes qui se sont distanciés ''des stéréotypes'' régnant hélas depuis tant d' années dans nos sociétés arabes, précise-t-il, ayant à l' esprit le socle sur lequel se base ''la société civile'' telle qu' elle est théorisée par le penseur italien Gramsci et loin de toute référence aux devises de ''l' unité arabe", "le nationalisme arabe" et le marxisme, explique-t-il. Encore faut-il faire attention, dit il, car l' histoire nous a appris que dans l' écrasante majorité des cas, la Révolution est en proie à la précarité, « elle avale ses enfants et, vice versa, ses enfants l' avalent », remarque-t-il. Sur les traces du cogito cartésien « Je pense donc j' existe », on pourrait bien dire ‘'on se révolte donc on existe". Mais méfions-nous de l' excès et des conséquences abusives qui rejoignent l' idée de tout vouloir à travers l' acte révolutionnaire qui ne devrait pas en aucun cas être "totalitaire'',explique-t-il, afin d' éviter toute dérive dangereuse. La conférence de Tahar Labib, s'est achevée sur une note optimiste quant à la notion de ''rupture'' qui se veut progressiste et s' avère indispensable au bon déroulement du processus de la révolution dont il a parlé au tout début de son intervention. Tirer des leçons de la Révolution tunisienne Suite à cette première conférence, le Syrien Ali Ahmed Sïd Esber, alias Adonis, auteur de ''Le constant et le variable'', "Le temps de la poésie", "Politique de la pensée'' et traducteur également de Saint-John Perse, Yves Bonnefoy et Georges Schéhadé, prend le relais afin de dire au public présent qu' il est venu en Tunisie pour tirer des leçons de la Révolution tunisienne. Avouant des propos pareils à l'âge de 81 ans, semble donner à sa conférence un élan particulier saluant ainsi la Révolution tunisienne. Il a commencé par enchaîner sur l' idée de ''la rupture'' qui rythme l' histoire du monde arabe, il est allé encore plus loin en précisant que « la rupture est de règle dans notre histoire, c'est une pratique notoire, exercée aussi bien au niveau sociopolitique que littéraire permettant de couper court aux paradigmes conceptuels étriqués et clos sur eux-mêmes. La bifurcation à laquelle est vouée le monde arabe est due à la dispersion des différentes parties agissantes dans ces sociétés , c' est la raison pour laquelle il y a ceux qui vivent en marge de l' histoire ou en décalage par rapport à son acheminement, chose, qui explique l' absence d' un projet d' ordre social, culturel ou économique aux contours clairs et nets pour les Arabes . D'autant plus que les précédentes tentatives de projets unificateurs ont échoué à cause de leur caractère ‘'assimilationniste' qui ne respecte pas les minorités ethniques et religieuses, explique-t-il. Il a appelé également , in fine , à la nécessité de conjuguer les efforts afin de procéder à la structuration de l' identité arabe qui est un acte de créativité et d' innovation qui se tisse au fil du temps.