De notre correspondant permanent à Paris : Khalil KHALSI – Ils sont plusieurs, surtout des jeunes, de tous bords, à s'être réunis au lendemain du 14-janvier pour participer à la reconstruction du pays. Parmi tous ces groupes, dont la cause est la même et partout aussi noble, se dégage le Pacte des Compétences tunisiennes engagées. Principalement basée à Paris, cette association postrévolutionnaire multiplie les plans d'action à travers ses différentes antennes, en France, en Tunisie ou ailleurs, « aux quatre coins du monde », d'après leur présentation sur le site internet. Un « collectif de compétences tunisiennes », des personnes qui se réunissent et se solidarisent par amour pour ce pays en pleine renaissance et dont les nouveaux premiers pas sont titubants. Mais pas hésitants, et c'est en cela que ces Tunisiens, dont chacun se présente avec ce qu'il sait faire le mieux, se donne pour mission de protéger la Révolution, faire en sorte qu'elle ait « réellement » lieu, s'achemine vers son but. Car la Révolution est à prévoir dans tous les domaines ; et si le PaCTE se refuse de faire de la politique mais tout en parlant politique (et ainsi donner le droit à chaque Tunisien de participer à cette transition démocratique, en débattant de ce qui est le mieux pour lui, pour tout le peuple, pour la patrie), cette association propose plusieurs groupes de travail, initialement réunis autour de la nouvelle Constitution, de la « veille politique », du « développement régional », etc. Tout aussi important, un nouveau groupe a été créé afin de s'intéresser à la grande absente — marginale parce que souvent considérée comme étant élitiste — de l'ancienne politique tunisienne, à savoir la Culture. Par « culture », il ne faut pas entendre « arts » uniquement, mais aussi tout ce qui a trait au patrimoine, matériel et immatériel. À la tête du groupe, nous trouvons Inès Henchiri et la musicologue et interprète d'arabo-andalou Syrine Ben Moussa. Cette dernière est aussi étudiante à l'INA (Institut national de l'audiovisuel), et elle coordonne le groupe en mettant à profit ses connaissances artistiques et culturelles ainsi que ses compétences en matière de valorisation du patrimoine. Le but de ce groupe est de remettre la culture au sein des préoccupations citoyennes, avec la volonté de raffiner les goûts et de sensibiliser aux expressions les moins connues du secteur culturel et qui mériteraient de faire l'objet d'une révolution culturelle. Cela passe aussi par la (re)valorisation du patrimoine et en proposant un plan de tourisme culturel — histoire de changer des cartes postales ensoleillées, plages et déserts, chameaux et portes bleues. « Le PaCTE tunisien s'intéresse à la politique, certes, mais notre groupe essaie de ne pas en faire, explique Syrine Ben Moussa. Nous ne voulons pas commettre les erreurs du passé. » Parce que la politique de Ben Ali bâillonnait la culture, à un tel point de dépouiller les intellectuels du rôle qui devait être le leur… Le groupe tentera de faire revivre les secteurs culturels, dans l'espoir de créer un nouveau champ d'expression, un sanctuaire inviolable. Si la révolution culturelle doit venir avec la Révolution, alors soit ! Car c'est une question d'héritage, avant tout. D'ailleurs, la première action du groupe Culture et Patrimoine sera centrée autour de l'héritage architectural dit « colonial ». Tant d'immeubles Art nouveau et Art déco qui dépérissent, au sein de Tunis, alors que la capitale est un musée à ciel ouvert. À ce propos, l'architecte et historien français Charles Bilas adresse une lettre ouverte « aux architectes tunisiens et aux amoureux du patrimoine » où il exhorte à une réhabilitation dont les enjeux « peuvent être multiples : patrimoniaux, certes, mais aussi sociaux et économiques ». L'auteur de Tunis, l'orient de la modernité (co-édition L'Eclat et Déméter, photographies de Thomas Bilanges, 2010) incite à la mise en place de cellules de réflexion afin de « déterminer des actions prioritaires et des orientations générales quant à l'avenir, en sachant que celles-ci se doivent de rester cohérentes, compatibles à la fois avec le souhait de la population et avec les impératifs de l'économie ». Autour de cet appel — cette sonnette d'alarme — mis en ligne sur le site du PaCTE avec une vidéo-interview de Charles Bilas, l'association organisera bientôt des journées rencontres où se réuniront les intéressés, architectes et défenseurs du patrimoine, afin de réfléchir à un plan d'action. Et, ainsi, tous les mois, une thématique ou une problématique relative à la culture sera mise en avant par les membres du groupe afin de lancer la réflexion. Pour le lancement du groupe Culture et Patrimoine, le 4 juin 2011, Bâaziz, le chanteur algérien ami de la Tunisie, offrira au PaCTE tunisien une soirée à l'Espace B, à Mairie d'Ivry (proche banlieue parisienne), avec, entre autres, Yassine Ben Abdallah, l'imitateur de ZABA. La somme collectée permettra d'initier certaines actions culturelles. Par ailleurs, un deuxième meeting du PaCTE parisien aura lieu à la mi-juin, au cours duquel sera présenté le collectif, avec des ateliers autour des différents groupes et un point sur l'avancement des multiples projets… Le PaCTE tunisien aura même son stand au Village du Jasmin qui sera monté sur le parvis de l'Hôtel de Ville, à Paris, les 21 et 22 mai, en l'honneur de la Révolution tunisienne. Histoire, aussi, d'essayer de relancer le tourisme en Tunisie dont les récentes tentatives ont échoué… « L'enthousiasme qui a guidé ces derniers mois le peuple tunisien sur le chemin de la liberté devrait l'aider à prendre conscience qu'il possède un patrimoine inestimable », écrit Charles Bilas. Pas qu'un patrimoine, mais des forces aussi, des talents et du rêve à perte de vue.