Prestigieux, historique même, il assure et illustre le tout premier contact d'un étranger avec la Tunisie, porteur du drapeau et incarne surtout l'image de la Tunisie. Le transporteur Tunisair, commence à marquer le pas et s'essouffle perdant ainsi de sa superbe depuis quelques années. Les années « noires » sous la dictature de Ben Ali, a fait de cette compagnie, notamment ses 500 millions d'euros de chiffre d'affaires, la cible de tout un chacun. Une période difficile qui commence à donner ses résultats négatifs, et un avenir qui ne présage de rien de bon pour cette compagnie. Pour nous rapprocher encore davantage de cette réalité morose, disons le, et pour avoir plus de visibilité nous avons choisi de nous entretenir avec Ali Dinari, 62 ans, ancien Commandant de bord, avec pas moins de 40 ans de service à Tunisiar. Il a occupé plusieurs postes de responsabilités dont ; Directeur de la sécurité à La Direction Générale de l'Aviation Civile et Directeur Centrale des Opérations Aériennes à Tunisair. Il exerce depuis quelques années comme Consultant formateur auprès d'Airbus Training Toulouse. Interview… Le Temps - D'après les informations et les commentaires qui vous parviennent de l'intérieur de la compagnie, comment jugez-vous la situation actuelle au sein de Tunisair ? Ali Dinari - Au sein de la compagnie, un sentiment d'inquiétude plane. La compagnie est mal en point, et de nos jours on témoigne des résultats de l'absence d'une restructuration solide. Je suis certain que la restructuration, dont on ne cesse de parler ces derniers jours, doit passer par un diagnostic de la situation actuelle. Tunisair est une compagnie qui intéresse tous les Tunisiens, puisqu'il s'agit d'une compagnie publique, spécifique de par sa mission et qui porte le drapeau national. Sa mission est toujours celle d'embellir l'image de la Tunisie. On doit actuellement tous reconnaître qu'elle vit une crise, et ceci depuis longtemps et avant le 14 janvier. Et la situation s'aggrave de plus en plus. Quels sont les acteurs de cette situation grave ? Il y a ce déficit chronique qui va s'accentuer en 2011. Des spécialistes au sein de la compagnie peuvent en parler plus. L'activité est en baisse depuis un certain temps, c'est tout à fait compréhensible. Selon les échos parvenant des rouages de Tunisair, on parle de pertes de près de 200 millions de dinars pour cette année en cours. Ajoutons à cela le surendettement résultant de la défaillance entre le crédit d'investissement et le crédit d'exploitation. Le comble provient du sureffectif, ajouté à cela la question de la réintégration des filiales. Justement sur cette question de réintégration des filiales, quelle serait, selon vous, la meilleure façon de mener ce processus d'une manière saine et qui garantirait un tant soi peu la pérennité de la compagnie ? On est presque d'accord sur le fait que la compagnie est latente. A cela, s'ajoute en plus cette question de réintégration qui est en train de se faire d'une manière à la limite sauvage, surtout si on prend en considération la situation actuelle en Tunisie. On doit se mettre dans la tête qu'une fois cette réintégration parachevée, on aura une situation où l'on doit compter un personnel de 8000 personnes, pour gérer une flotte de 32 avions. Dans les compagnies mondiales pareilles, le personnel ne dépasse guère les 4000 personnes. Ce qui veut dire qu'au sein de Tunisair, on compte le double de la norme internationale. Ceci résultera de charges encore plus importantes dans les années à venir. Déjà, actuellement le climat social est tendu et est en train de se transformer en une crise de confiance (interne) qui résulte d'un laisser faire apparent. L'exemple de Tunisair Catering illustre nos propos. Tous ces éléments se traduisent sur le terrain par un manque de motivation qui n'a pas lieu d'être, car après tout, l'employé doit continuer à travailler indépendamment de ce qui se passe au niveau de la Direction Générale. Surtout dans cette situation, où on a besoin de redoubler d'efforts. Le diagnostic qui est en train d'être assuré par une commission indépendante n'a pas encore divulgué les résultats de ses travaux. Selon vous quels plans de relance devrait-on adopter afin de sauver la compagnie? Il faudrait tout d'abord avoir plus de visibilité sur le court terme afin de redynamiser l'activité et sur le long terme pour assurer la pérennité de la compagnie. Cependant, il y a deux grands volets qui devraient susciter le plus d'attention possible. Le premier est le volet technico- opérationnel alors que le second concerne la sécurité. Facteur impératif et un acquis indiscutable, mais qui connait actuellement une inquiétante dégradation. Elle concerne essentiellement la sécurité, l'entretien et l'exploitation des engins. A ce niveau, il faut mettre sur pied un système qui garantisse le bon niveau d'entretien des avions à partir des bonnes procédures de leur exploitation et utilisation. On constate depuis un certain temps une dégradation malvenue pour l'avenir. Il y a une autre chose qui doit exister au sein de toute compagnie qui se respecte, mais qui est absente au sein de Tunisair, à savoir le plan d'action stratégique de contingence. Un plan capable de fournir les solutions au moment d'urgences, et susceptible de permettre à la compagnie de faire face à tous les scénarios possibles et les crises de tous genres. Cette situation est le résultat du fait qu'on était mal conseillé. La structure de Tunisair a mal envisagé tout cela, ce qui peut être considéré comme un problème de management. Et c'est aussi le fruit d'une stratégie d'allégeance en l'absence d'une stratégie professionnelle digne d'une compagnie de transport aérien. Au sein de Tunisair, on constate l'absence de toutes stratégies de veille, ce qui prive la compagnie d'une vision claire. Personnellement, j'ai l'impression que le 14 Janvier n'a pas encore réussi à défoncer les portes closes de Tunisair. A la lumière de tous ces problèmes, quelles seraient, selon vous, les solutions envisageables capables de faire sortir Tunisair de sa situation ? Je pense que les solutions doivent toucher deux volets. Tout d'abord le terrain, et puis le personnel. Sur le terrain, on a besoin d'un plan de relance. Un plan qui devrait nécessiter quelques mois de travail afin de rétablir la confiance en interne d'abord, en instaurant un début de réconciliation au sein de la direction afin de penser ensemble, personnel et direction générale. C'est une condition sine-qua-non pour enfin mobiliser l'ensemble du personnel qui a l'obligation de participer à la survie de la compagnie, indépendamment des noms ou de la forme de la DG. Il faut agir sur les ressources humaines afin d'assainir les postes de responsabilité. Ceci permettrait d'instaurer les bases d'une justice sociale pour la promotion des compétences et leur déploiement dans les postes appropriés à leurs profils. Le second volet, concerne l'allégement de l'effectif, suivant des canaux réglementaires et légaux. Car au sein de la compagnie, et il faut le dire, il existe un nombre important de postes inutiles occasionnant des charges supplémentaires. Il s'agit essentiellement de personnes âgées et d'autres qui manquent de compétence. Ainsi, une optimisation des postes inutiles s'impose. Il faut avoir du courage pour le faire. Car tourner ses 32 avions avec un personnel de 4000 personnes ne donnera pas les mêmes résultats que de les tourner avec les 8 mille personnes actuellement. Dans des compagnies privées, on se contente même de 2000 personnes pour 32 avions, en adoptant des structures bien organisées et très rentables. Je suis certain qu'au niveau de la direction des Ressources Humaines on doit innover et adopter un système de récompense et de discipline à appliquer dans les deux sens. Tout ceci en prenant en compte que Tunisair reste toujours une compagnie nationale qui doit prendre en considération certains aspects sociaux. Et qu'en est-il du volet commercial ? Ne pensez-vous pas que la compagnie doit revoir sa stratégie à ce niveau ? Tunisair est une compagnie qui génère d'importants revenus. Mais elle doit redynamiser ses forces de vente avec des obligations de résultat. Et pour le faire, il faudrait restructurer le réseau actuel, évidemment selon la rentabilité. Ce même réseau doit faire l'objet d'une extension sur de nouveaux marchés indépendamment des marchés touristiques. L'Afrique sub-saharienne à titre d'exemple est un marché que la compagnie pourrait développer, comme c'est aussi le cas pour Royal Air Maroc, ou encore Emirates qui vient de débarquer. Par ailleurs, il faudrait revoir le plan de flotte avec Airbus, tenant compte de la situation actuelle. Il faudrait ensuite voir les meilleurs approches afin d'améliorer la qualité de service au profit du client/passager, depuis l'intention d'achat jusqu'à son arrivée à sa destination. Et qu'en est-il enfin du volet technique et opérationnel, surtout que celui-ci s'est dégradé au cours des dernières années ? Ce volet a été l'un des maillons forts de la compagnie, mais Tunisair a commencé à souffrir sur ce plan à cause des politiques de laisser-aller, laisser-faire. Il faut doter le personnel de complexes technique et opérationnel de formations et surtout des technologies existantes. Il faut leur donner les moyens humains et matériels pour leur permettre de travailler dans des conditions favorables. Parallèlement, la rigueur doit être rétablie et appliquée dans les systèmes de contrôle. D'une façon générale, il faudrait définir des orientations stratégiques ainsi que le ré-engineering de la structure organisationnelle, par le renforcement et le développement de la cohésion sociale afin de cultiver le sentiment d'appartenance à l'entreprise, surtout en période de crise. Il faudrait aussi recourir à des systèmes développés de management qui ont donné leur preuve dans des compagnies de renommée mondiale. Comme il faudrait aussi recourir à des systèmes d'évaluation et de contrôle systématique capables de contribuer au maintien du niveau de la compagnie aux mêmes normes internationales et faire face aux défis externes, tels que l'Open Sky, pour lequel on n'a presque rien préparé sauf une horloge digitale dans le hall de la compagnie indiquant le compte à rebours avant l'entrée en vigueur de l'Open Sky en Tunisie. Interview conduite par Haykel TLILI