De Hechmi Ghachem - Avoir un gouvernement light avec 0% de calories c'est presque ne rien avoir. Y a du pour et du contre. D'un côté, il n'y a personne qui nous embête, d'un autre côté, si personne ne nous embête, on n'aura personne à embêter. En matière de pouvoir, cela se traduirait à peu près à ceci : nous avons un gouvernement provisoire dont le seul grand mérite est de demeurer provisoire, en respectant les échéances prévues. Il ne nous réprime pas mais il n'entreprend rien de grandiose comme action non plus. Il doit demeurer tel qu'il est : les résidus d'une machine finissante qui finiront à leur tour et très prochainement. Du coup, on ne peut le critiquer, ni l'insulter… vu qu'après tout, ce que nous avons subi pendant plus d'un demi-siècle de dictature n'est pas de sa faute… même si ceux qui le dirigent ont fait plus que flirter avec la machine à tuer que le peuple tunisien vient de condamner à mort en ce début de l'an de grâce 2011. Du coup, n'ayant pas de gouvernement à critiquer, nous nous retrouvons à nous insulter entre nous comme au temps de la dictature. Car cette dernière est basée sur la mythification et la sacralisation du Chef. Et cela implique automatiquement la division du peuple en peuplades disparates, en corps de métier ennemis, en voisins qui ne se supportent pas, en criminels perdants contre lesquels il faut sévir, en artistes ridicules qui sont coupés de la réalité et dont il est permis de se moquer… C'est ainsi que nous sommes arrivés vers les dernières années du règne du Super-flic à monter la population contre les journalistes : « Pourquoi vous cachez- vous derrière la sempiternelle langue de bois alors que le président, dans son incommensurable générosité, vous incite à écrire librement ? » Il y a de quoi rire… jaune ou mauve, selon votre penchant pour l'une ou l'autre de ces deux couleurs. Quant à la culture, évidemment qu'elle n'a pas échappé à cette règle : les artistes qui réussissent sont ceux qui à chaque fête du 3 août ou du 7 novembre louent les bienfaits du dictateur… montrant leur large sourire à la télé ou sur les pages des quotidiens et des hebdomadaires et y allant de leur plus belle signature de soutien et d'allégeance, dès qu'on claque des doigts pour les appeler à la rescousse. Encore une fois, nous n'allons pas citer des noms… non par respect pour cette racaille mais parce que les choses sont devenues beaucoup plus claires avec ce gouvernement provisoire et les suceurs de roues qui lui collent au train. Comme mes artistes favoris se cachent pour mourir, je n'entame aucune action : pas de commission d'achat, pas de mega-spectacle pour marquer l'existence de la révolution, pas de spectacles de rues où tous les artistes des diverses disciplines seront présents. Rien… absolument rien. Et pourtant Dieu seul sait combien on nous a bassiné les oreilles avec des discours brûlants où l'on jurait qu'aucune société ne peut évoluer sans l'appui et l'essor des arts. Ce gouvernement, vu qu'il est comme un météore, a d'autres chats à fouetter. Tous les autres partis semblent l'imiter même si quelques uns parmi eux osent souffler du bout des lèvres, qu'il faut quand même donner aux artistes, la place qui leur revient en société. Quelle place ? Comment ? Avec quel programme et quel argent ? C'est trop leur demander ! Le seul à avoir un programme clair et, pour le moins coupant, ce sont les hommes de Dieu : Nous voulons une société basée sur les paroles de Dieu sans poètes, sans danseurs ni danseuses, sans peintres imitateurs des figures sacrées créées par Dieu, sans rien. Et ils n'ont pas attendu les élections du 24 juillet pour commencer à appliquer leur programme dans toute sa radicalité : un professeur de théâtre a été tabassé par des parents d'élèves parce qu'il enseignait la dépravation à leurs rejetons. Un bus transportant des comédiens et des comédiennes a été arrêté et ses occupants tabassés à satiété, alors qu'ils faisaient une action de groupe dans une rue piétonne de Tunis. Des peintres ont été malmenés et harcelés oralement et menacés de recevoir la leçon de leur vie… Ce ne sont là que des prémices. Le gros reste à venir. Quelle société voulons-nous bâtir pour la Tunisie ?