Trop de similitudes... Trop de coïncidences... Est-ce fortuit?
Le monde arabe, les peuples des pays arabes vivent, sans peut-être le savoir vraiment, des événements épiques et des changements spectaculaires en ces débuts du XXIème siècle. En quête de liberté et de justice sociale, ces peuples ont eu le mérite de faire entendre leur voix au monde entier, de braver la force aveugle, la brutalité policière, les balles des snipers et, dans certains autres cas, la marche des blindés et le mitraillage aérien…
Pour des populations jugées suffisamment soumises et pour des régimes considérés forts et bien implantés, l'équation socio-sécuritaire dans ce monde arabe plus ou moins «tranquille» parait totalement bouleversée… Elle est devenue à plusieurs inconnues… Elle n'obéit plus à une certaine perception des choses, établie depuis des décennies… Comme si, pour plusieurs régimes arabes, les années 70 ressemblent comme deux sœurs jumelles à celles des années 90, ou encore plus aux années de la deuxième décennie du XXIème siècle! Erreur d'appréciation, erreur de jugement, et donc erreur de comportement entraînant inéluctablement trop d'écarts et de bavures… Il y a plus d'un quart de siècle, un article dans le fameux magazine «Jeune Afrique» signé Béchir Ben Yahmed intitulé: 20 ans, c'est beaucoup… 30 ans c'est trop! a tout simplement parlé de la maladie du pouvoir et de cette volonté absolue à vouloir le garder le plus longtemps possible par les gouvernants. M. Ben Yahmed parlait, à l'époque, du cas de la Tunisie… Un quart de siècle après, le sujet reste encore d'actualité… Les chiffres sont là… Ben Ali a régné 23 ans durant et a été «sorti» par la toute petite porte, dans l'anonymat ou presque… Moubarak s'est entêté à rester malgré les émeutes, malgré la désobéissance de l'armée et encore malgré ses 83 ans d'âge et ses 31 ans de règne… Ali Salah, du Yémen, est là depuis plus de trente ans… Il refuse carrément de partir ou plutôt il accepte de laisser le fauteuil sous certaines conditions favorables à sa personne et aux membres de sa famille… Quant au leader libyen Kaddafi, l'histoire est tout autre… Quarante deux ans de règne absolu… Sans aucune forme connue d'état… Il est le Chef, le Guide, le Roi des rois, le Symbole… Il est tout, omnipotent et en même temps il ne gère rien, dit-il… Il n'est pas Chef d'Etat, son fils non plus d'ailleurs… Et pourtant! franchement, avec Kaddafi, on est de plain-pied dans l'irrationnel… D'ailleurs, le Frère Guide, a été totalement surpris par le mouvement de contestation populaire qui a surgi en Libye… Qui sont-ils? Que sont-ils? Certainement pas des Libyens… Parce qu'il est impensable d'une part et impossible d'autre part qu'ils soient des Libyens… Et le plus embêtant dans ce qui vient de se passer en Libye au tout début de ces mouvements c'est que le Frère Mouammer n'a pas prévu de se doter de moyens «légers» de contrôle et de dispersion des foules… Il ne dispose pas, par exemple, d'un stock de bombes lacrymogènes ou de véhicule à jet d'eau… Il n'y a probablement jamais pensé… Alors, pour mater cette population ingrate il passe au vif du sujet et utilise, pour ce faire, son arsenal de blindés, de fusées, de mitraillage aérien et de bombardement aveugle… Le bilan, on le connait. Peut-on avancer encore sur ce terrain pour citer le cas du Bahreïn, de la Syrie ou d'autres pays dans la région qui seraient contaminés par le virus «révolutionnaire»? Les raisons pourraient différer d'un pays à un autre, les conditions aussi… Mais si ce sont les systèmes qui sont malades, et donc les régimes de gouvernement, il y a fort à parier que ce qui est larvé actuellement sera apparent à l'avenir.
Les processus orchestrés Au départ, il faut avouer que l'on n'arrive que très difficilement à s'en rendre compte… Tellement les choses se présentent sous un aspect normal, conséquent et totalement dans le cours des événements… On installe une toile de fond qui va être le moteur d'une mécanique implacable… Elle s'appelle les réseaux sociaux dont Facebook constitue le fer de lance… Ce dispositif commence à fonctionner dès qu'un mouvement de masse, même limité, investit la rue d'une manière pacifique… Les réseaux sociaux passent à l'action et donc, bien sûr, à l'information amplifiée… Les masses grossissent, brandissant des slogans qui touchent à tout comme la liberté, la dignité, le travail… La police anti-émeutes entre en action… Les confrontations deviennent inévitables… Des moyens durs sont utilisés… Les réactions sont violentes (jets de pierre, destruction, casse, incendies…)… la contre-réaction s'intensifie… Et les réseaux sociaux ne chôment plus… Ils rapportent, ils communiquent et il leur arrive d'en rajouter… La boule de neige est prête à rouler dans une descente vertigineuse… Arrivée au bas de la vallée, l'irréversible est atteint… Les émeutes se généralisent et prennent les aspects de batailles rangées entre les populations et les forces armées du pouvoir en place… Les unités militaires sont sollicitées sans succès, car l'Armée refuse de tirer sur les foules… le système se fissure, le doute s'installe, l'Etat craque et le changement s'impose, parfois dans le sang et le chaos… Même le discours politique au cours de ce processus est souvent en retard à l'Evènement… Il vient pour répondre à des pressions et satisfaire des exigences dictées… Et comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, nous voila face à trois exemples d'une similitude remarquable… Les faits, le cheminement des événements, le discours politique retiennent l'attention dans les pays ayant vécu de tels événements comme la Tunisie et l'Egypte ou au Yémen qui vit encore un processus quasi identique. Dans ces trois pays, les étapes constituant le processus ci-dessus développé ont été d'une similitude frappante… Même la teneur et la formulation des discours prononcés par Ben Ali, Moubarak et Ali Salah font penser qu'ils émanent d'une même source.
Le grand jeu des intérêts et des priorités En effet, que l'on se détrompe. Les choses ne sont pas, en réalité, comme elles nous paraissent… Pour des enjeux de cette taille et de retombées stratégiques de cette ampleur, le hasard ne joue pas grand rôle et la coïncidence n'y figure que dans des proportions très réduites… Les intérêts des grandes puissances dans la région sont nombreux et farouchement défendus… Les Etats Unis, en premier lieu. Mais aussi l'Europe, la Chine et la Russie à des degrés différents… Même si la «Révolution tunisienne» a démarré et a pris de l'ampleur sans leadership, sans organisation préalable et surtout sans «parrainage» politique intérieur ou extérieur, il est aussi vrai qu'il s'agit là d'un véritable déclenchement naturel d'un mécanisme qui a pris son départ sans prendre l'avis de personne et notamment les politiques, les intellectuels ou les composantes de la société civile. Si le cas tunisien a «filé» entre les doigts des Américains et surtout des Français, ces derniers ont juré ne plus se laisser prendre dans toute la région arabe. Les Américains n'avaient rien à perdre du départ de Ben Ali. Au contraire, ils ont jugé à un certain moment qu'il n'était plus fréquentable… La France, elle, ne pouvait pas se permettre ce luxe. Ses intérêts en Tunisie sont relativement grands et ses raisons de les sauvegarder sont nombreuses. Pour le cas de l'Egypte, l'enjeu, la position, la taille et l'impact régional sont tout autres. Les grandes puissances auraient certainement souhaité la continuité pour Moubarak, mais elles sont arrivées à une certitude: plus de trente ans de pouvoir auront des conséquences fâcheuses… Alors, autant le conduire à une sortie moins dramatique pour lui et une issue plus ou moins pacifique pour le peuple égyptiens. Ainsi, Ben Ali et Moubarak auront vécu le même processus, joué leur rôle selon un même scénario et laissé leurs places dans presque les mêmes conditions. Au Yémen, le processus est déjà mis en place… L'ensemble des éléments constitués de réseaux sociaux, populations, actions armées, ripostes, actions et réactions, propositions et contre-propositions… Tous les ingrédients sont là… Le reste est une question de temps. Le Yémen, c'est très important pour certaines puissances… Pays de tribus, gardien du Golfe d'Aden, du détroit de Bab El Mandab, point hautement stratégique, base de contrôle en face de la Somalie. Laisser s'y opérer des changements sans perdre les liens avec tout éventuel régime reste une condition essentielle. Par ailleurs, quand un régime comme celui de Kaddafi n'a plus rien à donner et que les risques de danger qu'il pourrait générer ne sont plus de mise, son départ par tous les moyens est souhaité, quitte à y participer activement sous un prétexte quelconque qui prendrait l'aspect d'une action purement noble et humanitaire. Retour à la case départ. Face à tant de calculs, de considérations stratégiques et d'intérêts, tout le beau tableau des révolutions spontanées est loin d'être aussi pur qu'on le croit, tellement les coïncidences sont troublantes. Mais de toutes les manières, de telles considérations, aussi convaincantes qu'elles cherchent à l'être, n'enlèvent rien du caractère sublime et libérateur de ces bouleversements dans les pays concernés.