L'auteur de cet essai le précisera d'emblée : « Ce livre n'est ni une chronique des événements, ni une opinion sur ce qu'a été ou ce que devrait être la révolution en Tunisie, puis dans le monde arabe… ». Est-ce à dire qu'il se situe dans les marges ? Rien n'est moins sûr. Car, en voulant éviter de tomber dans le piège du « bavardage », donc de rejoindre les lieux communs d'une révolution dont il ne revient pas encore –et il n'est pas le seul-, ou de se prêter au jeu de la distanciation qui se veut bien souvent au –dessus de la mêlée, au risque d'y perdre son latin bien souvent, Fethi Benslama (psychanalyste tunisien, professeur à l'Université de Paris VII où il dirige l'UFR « Sciences humaines cliniques », ayant déjà signé plusieurs essais dont nous citerons notamment sa « Déclaration d'insoumission à l'usage des musulmans et de ceux qui ne le sont pas » -2006-) a choisi de s'y atteler avec le secours de ses deux armes de prédilection : la psychanalyse et la philosophie. Non pas qu'il s'est mis en condition de se préparer pour une guerre, mais pour tenter, par l'autre bout de la lorgnette, de laisser surgir, par la brèche soudaine qui s'est ouverte un certain 14 janvier 2011, cet « éclat » éblouissant qui a fait imploser de l'intérieur, tous les barrages instaurés, depuis le règne du despote, sur tous les pacifiques au long fleuve tranquille, les pulvérisant avec une rare puissance, lors même qu'ils étaient –fruit d'un asservissement sans bornes- assurés tous risques. « Soudain la révolution ! Géopsychanalyse d'un soulèvement » ne survole pas mais infiltre de l'intérieur, non pas à la manière d'une taupe, mais pour remonter aux sources de la révolution, ce processus, qui mêlerait la subjectivité au politique pour déboucher sur l'irruption de « l'impensable », au grand dam de ceux qui pensaient avoir maîtrisé tous les rouages de la pensée, suffisamment en tout cas, pour écraser toute velléité de révolte et tout désir de liberté, dans l'œuf, sans espoir de retour. Sauf qu'ils ont eu le tort d'oublier que la Tunisie est le fruit de ruptures successives, à travers l'histoire, la grande, sans que cela signifie en aucun cas, qu'il y ait eu fractures irrévocables mais bien une capacité miraculeuse à se reconstruire à chaque fois sans jamais se renier, ce qui est une composante essentielle de l'identité du Tunisien. Identité bafouée pendant près d'un quart de siècle mais dont le cœur battant n'a pas été touché parce que Bourguiba était passé par-là un peu plus tôt, et qu'il n'est pas passé pour rien. Ainsi, s'y prenant volontiers presque à chaud, refusant de laisser décanter les choses par crainte de voir s'éteindre l'inextinguible, celui-là même qui a conduit à la libération de tout un peuple, ayant cristallisé le geste de désespérance-Amour d'un Bouazizi devenu le martyr d'une Tunisie nouvelle, en voie de réaliser, par le biais d'une transition démocratique en devenir, sa véritable révolution, menée à terme comme une grossesse compliquée mais heureuse, l'auteur de ce petit livre nous invite, dans son sillage, à une incursion dans les dédales d'un cheminement, qui n'est pas, et ne peut pas être, celui d'autres pays arabes, -la révolution tunisienne n'étant pas exportable parce qu'elle n'a pas été menée, à l'instar de celle égyptienne par exemple, au nom de la religion ou décrétée comme telle, tant qu'à être récupérée mais son devenir viendra éclairer cette donne d'autant plus sûrement que la transition sera réussie-, mais jusqu'à cette intransigeante quête, de liberté et de dignité, qui a vu se briser la « prophétie » hargneuse des tyrans qui s'y voyaient déjà…, devant l'inflexible et farouche volonté d'un peuple, ne pouvant supporter plus longtemps, que l'inestimable soit foulé aux pieds à ce point, sauf que la statue avait des pieds d'argile et le peuple souverain…