A l'heure où les extrémismes de tous bords, et les haines exacerbées pour tout ce qui revêt la figure de l'étranger, grignotent des territoires, de plus en plus quadrillés, et des frontières que l'on dit poreuses mais qui n'ont de cesse, en réalité, de se resserrer autour d'une seule obsession : empêcher cet autre qui n'est pas soi, d'y accéder, interroger notre mémoire commune, sur ce qui fonde notre universalité, en revenant aux sources du savoir en quête de cette lumière, qui n'a de cesse de manquer à nos horizons bouchés, au point de nous affliger d'une cécité, à ce point installée qu'elle en est presque devenue une seconde nature, ne relève plus seulement de la nécessité, mais d'un besoin vital, de remettre au plus vite les pendules à l'heure afin de tenter d'éviter le naufrage. Et aux dernières nouvelles, le navire a déjà pris de l'eau de toutes parts. Pourtant il y a de l'espoir. A Consulter le dernier catalogue des ventes des Livres, manuscrits, et photographies orientalistes (Hôtel Drouot, 23 juin 2011- Paris), le clivage Nord/Sud prend alors les allures d'une vaste plaisanterie. Et la question identitaire : tarte à la crème de notre époque, qui voudrait que nos différences nous séparent, quelque chose qui a beaucoup à voir avec une mauvaise foi, d'autant plus choquante, qu'il n'est plus à prouver que nous avons encore plus à gagner à nous connaître, que de feindre de nous ignorer pour mieux excuser nos faits d'armes, nos messes basses et nos indignes lâchetés. Par exemple, saviez-vous que le fameux Don Quichotte de Cervantès a largement été inspiré par un auteur maure ? Pas plus que nous sans doute, à moins que vous n'ayez fréquenté ces manuscrits rarissimes et précieux, que dévoilera au grand jour, l'exposition-vente d'un florilège de pièces « majeures », aujourd'hui même donc, du côté de Drouot, réunis, pour ce qui concerne les livres et les manuscrits, par Abdelaziz Ghozzi, et pour les photographies par Antoine Romand, et démontrant, si besoin est, que la filiation est encore plus ancrée qu'on pourrait le croire, entre un Orient et un Occident qui ne se sont pas toujours tourné le dos par le passé, mais qui ont été quelque part, frappés d'amnésie, pour mieux justifier de cette fracture, de cet immense hiatus, qui a fait l'impasse sur des années-lumière d'échanges fructueux, surtout au niveau des sciences et de la pensée, entre un Orient, qui avait alors beaucoup à donner et un Occident qui a préféré oublier ces emprunts, pour mieux creuser la béance une fois que les vents de l'Histoire aient bien tournés, au point de donner le vertige. Sauf que l'universalité de l'humain, -et certaines pièces maîtresses viennent le rappeler à juste titre-, prend toujours sa revanche, même à rebours, pour donner une claque magistrale à tous ceux qui prêchent les divisions et les racismes devenus ordinaires, au nom de la pseudo-suprématie des uns, sur les autres. En guise de préface à ce catalogue, autrement édifiant, les auteurs évoquent le fameux cri de Goethe sur son lit de mort : « Mehr Licht » (encore plus de lumière), pour rappeler que « l'Orient et l'Occident s'identifient l'un à l'autre pour ne donner qu'une seule image. Le premier Coran en arabe de Hinkelmann, Hambourg 1694, publié après deux siècles de tentatives infructueuses, comme le Recueil des Historiens Orientaux des Croisades (…) sont deux exemples types qui témoignent de l'unité et de l'universalité de la pensée humaine ». Idem pour la « Grammaire égyptienne » de Champollion, ou encore, et c'est sans doute la perle rare de cette exposition : « El Ingenioso Hidalgo » de Cervantès, où ce dernier déclare que les premiers chapitres sont tirés des Archives de la Manche et le reste, traduit depuis l'arabe de l'auteur morisque « Cid Hamet Benengeli », historien arabe dont il a trouvé le manuscrit à Tolède. Mais ce catalogue présente aussi une somme de photographies « exécutées par quelques photographes voyageurs d'exception. (A l'instar) de Girault de Prangeys notamment, qui à son passage au Caire réalisa sans doute le premier portrait connu d'un personnage arabe ». Et nous en passons et des meilleurs… Un voyage qui mérite effectivement le détour du regard pour ce qu'il recèle de richesses, qui élargissent l'horizon au lieu de le boucher. Raison de plus pour ne pas perdre espoir…