Du temps de Bourguiba, les journaux télévisés de l'été diffusaient annuellement des images montrant le « Combattant suprême » se baigner dans les eaux de Carthage ou de Monastir. La célébration de son anniversaire, le 3 aout de chaque année (mais cela prenait toujours plus d'un mois), mobilisait une armada de ministres, d'ambassadeurs, de responsables, de fonctionnaires, de troupes « culturelles », de musiciens, de chroniqueurs, de « poètes », et bien sûr de cuisiniers, de techniciens, de serviteurs et d'ouvriers de toutes les catégories. Ce n'était pas tout à fait la fête pour les hommes du gouvernement, mais ce n'était pas non plus une corvée quotidienne : eux aussi prenait du bon temps aux frais du Prince (le contribuable) et s'offraient ainsi des vacances de luxe qui permettaient à leurs collaborateurs et adjoints de déserter à leur tour les bureaux de leurs ministères respectifs. Les membres du Gouvernement prenaient souvent leur congé estival plus ou moins long pour le passer plutôt à l'étranger ou sur certaines côtes dorées de notre littoral national. Avec Ben Ali, la télévision et les journaux nous parlaient très peu des congés présidentiels et pas du tout des repos ministériels. Mais nous devinions, à la durée très courte des séquences consacrées aux activités du Chef de l'Etat et à celles du Gouvernement, que ça avançait au trot, pendant l'été. Certains soirs, pour faire croire à un cours normal du travail au Palais de Carthage et à la Kasbah, on nous rediffusait des images vieilles de quelques jours ou de quelques semaines sur l'activité « débordante » du Président et sur les réunions ministérielles marathoniennes. Aujourd'hui, ni le président de transition ni le gouvernement provisoire ne semblent avoir droit à des vacances d'été. Pas même droit à un bref congé ramadanesque. La Révolution ne pardonne pas ! Qui leur pardonnera de prendre du repos alors que le pays vit encore dans l'instabilité ? Quel diplômé au chômage excusera le retard ou l'absence d'un ministre ou d'un secrétaire d'Etat avec qui il a pris rendez-vous ? Peut-on imaginer le Ministre de la Défense en train de sommeiller au fond de son hamac au bord d'une plage hawaïenne alors que nos frontières avec la Libye ne sont pas encore tout à fait sécurisées ? Et le Ministre de l'Intérieur, peut-il s'offrir un voyage de plaisance AUX Seychelles alors que la rue tunisienne ne s'est pas définitivement calmée ? Où le Ministre des Affaires religieuses peut-il aller en ce mois de Ramadan qui s'annonce plus « chaud » que d'habitude ? Et le ministre du commerce, et celui de l'emploi, et celui du transport et celui de l'éducation et celui de l'enseignement supérieur et celui des affaires sociales, pas un des hommes du gouvernement de Si Béji ne peut se permettre de vacances à moins d'être souffrant ; et ça non plus, ça ne se pardonne presque pas aujourd'hui : on dira « voilà la conséquence quand on désigne un vieux, il peine à suivre la marche de ses compagnons ». Si d'aventure, un ministre part à l'étranger, beaucoup de Tunisiens se laissent difficilement convaincre que c'est pour un voyage d'affaires. On l'imagine toujours en bonne compagnie là-bas, dans un super-hôtel de luxe, au bord d'une piscine de nabab, et le soir en train de trinquer et de danser la lambada avec de charmantes personnes ! Suspicion légitime en fait après plus de 50 ans de pouvoir népotiste où la plupart des voyages des hauts responsables et de leurs proches signifiaient plutôt farniente, shopping, business personnel, bronzage « signé », lifting et fitness haut-de gamme, cocktails de la « high society», soirées paillettes et strass ; bref, toutes sortes de loisirs faramineux pour le trésor public ! Un été de proximité Cette privation « provisoire » (comme le gouvernement lui-même) de vacances ne doit pas décourager nos ministres : ils peuvent bronzer autrement cet été : en allant le plus souvent par exemple dans les régions privées de plages, de piscines, d'hôtels, de touristes, de parcs de loisirs, de vrais festivals ; dans les régions privées de vraies vacances, quoi ! Qu'ils aient l'amabilité de passer une journée avec les jeunes « fauchés » de ces villes où le seul loisir, c'est-à-dire le vide, l'oisiveté, dure plus de 12 heures sur une terrasse de café, contre une clôture de bâtiment ou contre un arbre de la ville. Nous souhaitons de les voir s'exposer au soleil brûlant de Jendouba et au sirocco de Kairouan, aux tempêtes de sable de Gabès, Kébili, Médenine et Tataouine. Ils seraient bien aimables aussi s'ils parcouraient avec les enfants des villages isolés quelques kilomètres à pied pour rapporter les bidons d'eau potable nécessaires à la survie quotidienne des familles. Un été de proximité, pourquoi pas ! Une saison estivale vraiment active, ce n'est pas la mer à boire ! Et puis, une fois n'est pas coutume ! Pour les consoler, nous leur rappelons que dans les cent partis politiques qui se préparent aux élections d'octobre, il n'y aura pas non plus de trêve estivale ni de congé ramadanesque. Ce sera comme dans la fable Le lièvre et la tortue : gare à celui qui se lâche ou qui se relâche ! Un peu aussi comme dans la fable « La cigale et la fourmi » : bossons l'été pour assurer notre automne et notre hiver ! Badreddine BEN HENDA daassi [email protected] jamelbeni [email protected] Lamia [email protected] Momo [email protected]