Quatorze associations de la société civile opérant dans le secteur des droits de l'homme, syndicalisme et autres domaines se sont liguées pour constituer une Coordination indépendante pour la justice transitionnelle, une étape nécessaire pour la réussite de la transition démocratique. C'est une esquisse pour tourner la page du passé et en finir une fois pour toute avec la dictature après avoir demandé des comptes à ceux qui ont fauté pour terminer par la réconciliation. Les nombreux représentants des associations participantes étaient présents, hier au siège du Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) pour exposer les objectifs de cette nouvelle coalition et ses attentes du nouveau pouvoir en place. Me Amor Safraoui, coordinateur de l'initiative a commencé par comparer la justice transitionnelle en Tunisie à l'Océanie dont parle tout le monde et où personne n'y va. Il explique cette situation par l'absence de volonté politique pour que cette justice transitionnelle voit enfin le jour. « Pourtant, c'est une étape importante dans le processus démocratique. Jusque là la société civile a agi de façon séparée sans résultat. Les partis politiques dont les grands ne se sont pas intéressés au sujet et ne l'ont pas placé parmi leurs priorités ». L'initiative prise par les quatorze associations de la société civile, ouverte à d'autres et aux personnalités nationales, a pour objectif de coordonner avec le prochain gouvernement pour mettre en place une justice transitionnelle. Il faudra que le nouveau pouvoir légifère et crée une Instance pour la Justice transitionnelle. D'ici là la Coordination agira de concert avec les différentes composantes de la société civile, sans toutefois supplanter les tribunaux. Reconnue par l'Etat cette instance, agira pour la recherche de la vérité. Des procès peuvent être intentés, contre les fautifs. Il faudra créer par la loi des Comités Vérité qui écoutent les témoignages des victimes de la torture, la répression et autres abus. Cette instance offre aux fautifs l'occasion de pouvoir s'excuser auprès des victimes et demander pardon. L'Instance éditera des rapports périodiques sur l'avancement de ses travaux qu'elle conclue avec un rapport final sur les abus et des recommandations sur les réformes nécessaires en termes de législation et d'assainissement des structures de l'Etat qui se sont impliquées dans des actes de violence et d'abus des droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels des citoyens. Cette Instance participera à la réforme des institutions publiques, surtout juridiques, sécuritaires, pénitentiaires et d'information, tout en installant des structures de contrôle. Les victimes seront indemnisées, matériellement et moralement. Des excuses officielles doivent être exprimées. Une date devra être fixée pour remémorer les abus et rétablir la confiance entre les citoyens et l'Etat. Ceux qui ont attenté aux droits de l'homme, qu'ils soient hommes politiques, cadres ou agents d'exécution, doivent être mis à l'écart des responsabilités publiques. Néji Bghouri, porte-parole de la Coordination, place l'initiative dans son contexte. Elle ne remplace pas le travail du Gouvernement. « Les élections du 23 octobre sont une étape parmi d'autres pour éviter le retour de la dictature. Pour tourner la page du passé, il est nécessaire de rendre compte. La société civile est la partie la plus concernée par la justice transitionnelle qui doit déboucher à la fin du processus, sur la réconciliation ». Des comités d'écoute seront installés à Tunis et à l'intérieur du pays. La juge Raoudha Karafi, insistera sur l'importance de légiférer. L'Etat, puisqu'il dispose d'une légitimité électorale, peut promulguer une loi créant une instance de justice transitionnelle. Il lui fournira les moyens humains, matériels et techniques nécessaires pour l'exercice de son travail. Cette instance devra, selon Me Amor Safraoui, «être indépendante, non soumise aux directives du pouvoir, ni à d'autres instances ». Me Ayachi, rappellera que la société a fait certaines tentatives, « le temps est venu pour une action concrète. Le travail a commencé avant les élections. Toutes les composantes de la société civile peuvent s'associer à cette initiative ». L'universitaire Hafidha Chekir, précise qu'un manifeste est préparé pour les associations qui veulent intégrer cette initiative. La société civile devra formuler des propositions au pouvoir et agir pour faire respecter les Droits de l'Homme. Jusqu'où iront les investigations ? Ira-t-on jusqu'à réécrire l'histoire du pays ? Doit-on se limiter aux 23 dernières années ou aller jusqu'aux débuts de l'indépendance ? Un décret loi limite à 15 ans, les délais pour les recours. Les participants à la Coordination ne le reconnaissent pas et veulent aller plus loin. Le représentant de l'association « Liberté-Equité », parle de nouveaux rapports de partenariat entre l'Etat, le nouveau Gouvernement et les composantes de la société civile. Il faudra tout de même exercer une pression sur le Gouvernement pour que la justice transitionnelle fasse partie de ses priorités. Néjiba Hamrouni, Secrétaire générale du SNJT, exprimera ses appréhensions pour la liberté d'expression en Tunisie en parlant de la fermeture de la Radio Zitouna, parce qu'elle est dirigée par une femme. Une unanimité se dégage sur la nécessité de tourner la page du passé en passant par la nécessaire étape de justice transitionnelle. Hassine BOUAZRA
Les composantes de la Coordination Les 14 premières associations composant la Coordination pour la Justice transitionnelle sont la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme (LTDH), l'Union Générale Tunisienne de Travail (UGTT), le Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT), l'Association des Magistrats Tunisiens (AMT), l'Institut Arabe des Droits de l'Homme (IADH), l'Association des Femmes Démocrates (ATFD), l'Association des Femmes pour le Recherche et les Développement (AFRD), la Section tunisienne d'Amnesty International, le Groupe des 25, l'Organisation Tunisienne de Lutte contre la Torture (OTLT), l'Association Liberté, Equité (ALE), l'Association de Défense des Prisonniers Politiques (ADPP), l'Association Euroméditerranéenne des Droits de l'Homme et le Réseau National de lutte contre la corruption.