« On voit accourir de savants artistes avec des sonates merveilleuses, de vagabonds troubadours qui ne savent chanter que des ballades à refrain, des pèlerins qui répètent mille fois les couplets de leurs longs cantiques », dit René Char.. Quelques années après, ces artistes nomades et inspirés se revirent au pied de la superbe montagne de Zaghouan, là où eut lieu, dimanche dernier le premier rendez-vous des Troubadours tunisiens. Ils vinrent de Nabeul, de Tunis, du Kef et de Sbeïtla, munis de leurs guitares, flûtes, et pinceaux, clamèrent des poèmes d'amour et de vie et chantèrent la verdure qui embrassait leur scène et les brumes enveloppant les monts voisins. Ces troubadours et trouvères tunisiens furent accompagnés par des oisillons qui enchantèrent en interprétant les fameuses fables de LaFontaine. Le loup et la cigogne, le laboureur et ses enfants, la cigale et la fourmi furent agréablement fredonnés par les petits troubadours, Nour Toukebri, Sami Ayedi, Fatma Ezzahra Ammar, Jassem Sayad, Nour Mnasri et Aziz Sayad. Le spectacle des mômes fut néanmoins suivi d'improvisations musicales des jeunes musiciens Nizar Welhazi, Mohamed Hamdani, Omezzine Khelifa, Amine Nouri et Khalil Jemaa qui revisitèrent un répertoire méditerranéen varié, rendant un émouvant hommage aux mélodies des deux rives. La poésie fut de la fête via des lectures de Houda Ayedi qui lit des poèmes de son recueil Double Vie dans un espace de plein air joliment enjolivé par des photos de Sbeïtla ; des tableaux accrochés aux branches nues des amandiers instantanément gris… Les percussions endiablées de Amine Nouri enivrèrent l'assistance qui balança sous un ciel nuageux et prometteur… valsa avec leurs hôtes de l'association des amis du livre de Zaghouan dans une ambiance éclatée et gaie. Ravivant ces traditions littéraires médiévales, les troubadours tunisiens poursuivirent leur randonnée sur les collines de la montagne de Zaghouan, là où ils furent rejoints par leurs amis européens. Les troubadours ; ces compositeurs, poètes, et musiciens médiévaux de langue d'oc, qui interprétaient ou faisaient interpréter par des jongleurs ou des ménestrels leurs œuvres poétiques, renaquirent enfin sous les cieux tunisiens, dans l'objectif de diffuser une culture innovatrice qui transcende la créativité et le nomadisme, et qui fignole des randonnées où les artistes renouent avec leur terre, loin des salles climatisées, à l'abri du protocole administratif et des allocutions absurdes. «C'est pour la première fois que je me sens engagé dans un projet vrai et noble, dit l'artiste Tarek Suissi, l'un des initiateurs de ce projet. Cette initiative est, pour moi, une chance qu'on peut s'offrir afin de savourer un art bien aéré , un art qui respire de la lumière , la nature , et le souffle du public ; un public assoiffé de spectacle spontané et déçu par les prétentions artistiques qui bafouent la créativité et étouffent l'imagination...les Troubadours est un projet qui rejette les enjeux folkloriques et passéistes ; une symphonie émanant du quotidien de l'artiste, développant l'idée de l'unité qui exige la diversité, ajoute-t-il ». Parmi les fondateurs du groupe des Troubadours ou les Don Quichotte culturels, citons : Karim Mnasri, Chiraz Belghith, Zina Khamessi, Habib Ayedi, Salah Sayad, Barbara Khalfallah, Alessandro Calabaro et Nicolas Van Der Wilk. La tournée de ces poètes nomades est concoctée sous le titre « Sillonner notre pays en chantant », et les prochaines destinations seront Nefta, Hidra, Kerkennah, Matmata… à raison d'une aventure mensuelle… à suivre