De notre correspondant permanent à Paris Zine Alabidine Hamda - La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) vient de condamner la France, le 2 février 2012, concernant une lacune grave de sa procédure d'asile. La CEDH sanctionne l'absence de recours suspensif dans la procédure « prioritaire » d'asile qui autorise le renvoi de demandeurs d'asile dans leurs pays avant la fin de l'examen de leurs craintes d'y être persécutés. La Cour a jugé l'attitude française incompatible avec les obligations issues de la Convention européenne des droits de l'homme. L'affaire portée auprès de la Cour contre la France, le cas I.M. contre France, concernait un Soudanais, originaire du Darfour, arrêté dès son arrivée en France et condamné à une peine d'emprisonnement d'un mois pour infraction à la législation sur les étrangers. A l'issue de sa peine en 2009, I.M. a été placé en rétention administrative, au centre de Perpignan, afin d'être éloigné vers le Soudan. Il a sollicité l'asile mais sa demande, examinée selon la procédure accélérée, a été rejetée. Il risquait alors d'être renvoyé vers le Soudan avant l'examen de sa demande par la Cour nationale du droit d'asile. En cas de procédure prioritaire, le recours contre la décision n'est pas suspensif. Ce demandeur d'asile n'a échappé à l'éloignement que grâce à la mesure d'urgence demandée à la Cour européenne des droits de l'Homme par l'intermédiaire de la Cimade, service œcuménique d'entraide, et de Me Summerfield. Selon ACAT France, I.M. avait été arrêté une première fois par les autorités soudanaises en 2003, sévèrement maltraité et détenu arbitrairement en raison de son action de défense des étudiants darfouri de Khartoum. Il fut contraint de cesser toute action militante et poursuivit ses études. Suite à une attaque en mai 2008 du Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM), un des groupes rebelles du Darfour, les autorités procédèrent à une vague d'arrestations et il fut de nouveau arrêté en raison de son origine darfouri. Détenu et soumis à des actes de torture ou des mauvais traitements lors d'interrogatoires musclés, il dut accepter, après sa libération, de se présenter plusieurs fois par semaine auprès des autorités pour leur rendre compte des activités du JEM bien qu'il ait nié avoir des liens avec ce mouvement. Il chercha à fuir et se retrouva en France en décembre 2008 après être passé par la Turquie, la Grèce puis l'Espagne. Dans son arrêt du 2 février 2012, la Cour considère que l'absence de recours de plein droit suspensif à la Cour nationale du droit d'asile et l'effectivité réduite du recours contre la mesure d'éloignement était une atteinte au droit au recours effectif. C'est donc toute la procédure prioritaire prévue par la législation qui est remise en cause. Contrairement à la procédure d'asile normale, les demandeurs placés en procédure accélérée sont simplement tolérés sur le territoire français jusqu'à la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), un organisme public administratif, sans disposer d'une autorisation de séjour. Ils sont exclus du dispositif d'hébergement, ne reçoivent aucune aide sociale, ni d'allocation pour se nourrir, se loger, s'habiller ou se déplacer, ce qui a un impact négatif sur leur capacité à mener à bien leur demande. D'après les chiffres du ministère français de l'intérieur, en 2011, 26% des demandeurs d'asile ont été soumis à la procédure accélérée. « Cette décision vient rappeler que les Etats ne doivent en aucun cas renvoyer une personne dans son pays tant qu'il n'est pas démontré, de façon complète et définitive, qu'elle n'y encourt aucun risque », ont déclaré ACAT France, Amnesty International France et Human Rights Watch, dans un communiqué de presse commun. Depuis au moins cinq ans, l'ACAT France, Amnesty International France et Human Rights Watch n'ont cessé d'insister auprès des autorités sur la nécessité de mettre la procédure d'asile en conformité avec le droit international des droits de l'homme. Elles ont mobilisé les parlementaires à diverses reprises en vue de faire déposer des amendements à l'occasion de l'examen de plusieurs projets de loi. Ces propositions ont toujours été rejetées par le gouvernement. Le Haut-Commissariat des nations Unies pour les réfugiés, le Commissaire européen aux droits de l'homme, et le Comité des droits de l'homme des Nations Unies ont régulièrement exprimé des inquiétudes face à la procédure accélérée appliquée en France, en recommandant la mise en place d'un recours suspensif. Lors de son examen du rapport présenté par la France, en mai 2010, le Comité contre la torture des Nations Unies s'est dit « préoccupé du fait que 22% des demandes d'asile présentées en 2009 auraient été traitées sous la procédure dite prioritaire, qui n'offre pas de recours suspensif(…) Le Comité n'est pas convaincu que la procédure prioritaire offre des garanties suffisantes contre un éloignement comportant un risque de torture ». En juin 2011, la Commission européenne a présenté des propositions en vue de réviser la Directive européenne sur l'accueil des étrangers, qui recouvre l'assistance aux demandeurs d'asile, et la Directive sur les procédures, qui concerne les processus d'octroi de l'asile. Ces propositions — qui comprennent des règles très générales en matière de détention, des critères peu élevés pour l'accès à l'assistance sociale et aux soins médicaux, et l'extension du recours aux procédures accélérées d'octroi de l'asile — étaient encore l'objet de négociations avec le Conseil des ministres de l'Union européenne et le Parlement européen. La décision de la Cour vient conforter l'attitude de l'ACAT, d'Amnesty International et de HRW demandant aux pouvoirs publics de modifier la législation pour rendre de plein droit suspensif les recours devant la Cour pour tous les demandeurs d'asile. « La résistance obstinée des autorités françaises est l'illustration d'une politique d'asile davantage guidée par une logique de suspicion à l'égard des demandeurs qu'une véritable volonté de les protéger » ont affirmé les trois organisations. « Il est désormais temps pour la France de s'engager fermement pour faire du principe de non-refoulement une réalité en toutes circonstances ». Il est cependant très improbable qu'une décision de la sorte soit prise en période électorale d'autant plus que le ministère de l'intérieur table sur une politique du chiffre pour montrer sa fermeté contre les flux migratoires en direction de la France.