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«Ce sont les juifs sionistes et non tunisiens qui étaient visés. Les slogans auraient dû le préciser» Réagissant aux slogans des salafistes, Haîm Bittan, grand Rabbin de Tunisie, au «Temps»
Ils sont en Tunisie depuis vingt siècles, et ce, après la chute du premier temple. Ils ont toujours vécu en totale harmonie avec le peuple tunisien. Eux, c'est les juifs tunisiens. Après la première guerre mondiale et l'expérience coopérative du syndicaliste Ben Salah, leur nombre est passé de 110 mille à à peu près 1600 personnes. Pourtant, depuis l'éclatement de la Révolution et l'apparition de cette pseudo-problématique de l'identité, des voix conservatrices se sont fait entendre incitant parfois à la haine voire à la tuerie des Juifs. Pas plus tard que dimanche dernier, des slogans ont été scandés par des groupes de jeunes salafistes au centre-ville de Tunis, lors de la manifestation organisée par le Front tunisien des associations islamiques. Des voix menaçant les Juifs Tunisiens de mort. Après la plainte déposée, auprès du procureur de la République, par le président de la communauté juive en Tunisie, M. Roger Bismuth et l'indignation avancée par nombre de partis politiques, Le Temps a contacté le Grand Rabbin de Tunisie M. Haïm Bittan afin de mieux comprendre ce que pense la communauté juive tunisienne quant aux dernières menaces proférées par les jeunes salafistes, dimanche dernier.
Le Temps : En tant que Grand Rabbin de Tunisie depuis 2005, quelle est votre réponse à ces outrages annoncés à l'encontre des Juifs tunisiens ?
Haïm Bittan : Je suis Tunisien. La communauté juive tunisienne n'a jamais eu de problèmes avec les Tunisiens, qu'ils soient laïques, modérés, conservateurs ou salafistes. Nous avons toujours mené une vie rustique et sereine ensemble malgré nos différences religieuses. Même en affaire, la confiance mutuelle était et est toujours notre devise. Malgré ce qui s'est passé récemment à Tunis, à Djerba, nous vivons dans une autre dimension. Rien n'altère notre entente. Je voudrais juste souligner que les slogans scandés ce jour-là étaient plutôt contre les Juifs sionistes et non tunisiens. Il aurait fallu que ces manifestants fassent la nuance afin de réduire le litige.
Pensez-vous qu'il y aurait des risques sur le quotidien des Juifs tunisiens ? Comment vivent-ils la situation actuelle de la Tunisie ? N'appréhendent-ils pas les dérapages du mouvement salafiste ?
Je ne le pense pas vraiment. Vous savez, à Djerba, tout est calme. On vit comme de par le passé. Tunisiens et juifs tunisiens ne sont point perturbés par ce qui se passe réellement à Tunis. On sait parfaitement que les juifs que visaient les salafistes ne sont autres que les juifs sionistes. Jusqu'à présent, il ne s'est rien passé de grave, ne serait-ce qu'un petit incident. Même après la Révolution, on mène notre petit train-train quotidien loin de tous ces remous sociopolitiques. Certes, certains juifs tunisiens ont, parfois, peur et craignent pour leur vie, mais je fais en sorte de les rassurer. Je leur rappelle que le gouvernement nous épaule et nous protège. J'ai la foi, cette période de crise finira par passer.
Du 17 au 22 mai prochain, le pèlerinage de la Ghriba aura lieu comme à l'accoutumée à Djerba. Après la guerre en Libye, l'an dernier, qui a été derrière l'annulation des festivités ostentatoires et la brièveté de la fête ; comptez-vous faire pareil cette année ? Question organisation et sécurité vous êtes-vous préparés ?
Oui, certainement ! Pour cette année, nous nous sommes, évidemment, bien préparés. Il est vrai que l'impact des menaces salafistes a eu des retombées sur la communauté juive étrangère. Les gens ont quelque part peur. Or, je fais tout pour les rassurer, car, ici, il ne se passe rien qui puisse entraver le déroulement du pèlerinage ou qui puisse constituer un danger ! A Djerba, nous sommes presque 1600 juifs tunisiens, 1000 d'entre nous sont en Tunisie, le reste sont partagés entre Zarzis et la capitale. On mène une vie des plus normales. Quant au pèlerinage, les autorités sont bien organisées et préparées. De mon côté, je passe des coups de fil et j'en reçois de la part des juifs étrangers qui s'inquiètent sur notre situation. Or, il y'a pas lieu de s'inquiéter.
Y aura-t-il des familles juives tunisiennes qui envisagent de quitter la Tunisie par crainte pour leur vie et celle de leurs enfants ?
Depuis la Révolution, quelques familles ont été obligées de partir, mais leur nombre ne dépasse pas les quatre ou cinq. Elles ont été contraintes de le faire car leur commerce ou source de vie a fait faillite après la Révolution. Sinon, malgré les menaces de mort, toute la communauté juive en Tunisie tient à sa terre. C'est surtout parce que l'on sait que ces menaces sont plutôt destinées au juifs sionistes et non pas à nous. Comme je vous l'ai précédemment dit, nous vivons en parfait harmonie avec les islamistes conservateurs et les salafistes qui vivent à Djerba. Melek LAKDAR