Au Mali, chaque région a ses divas. Si Oumou Sangaré est le rossignol du Wassoulou, au sud du pays, à Tombouctou dans le nord, la voix de Khaira Arby est écoutée, respectée, entendue. Chanteuse depuis les années 70, très populaire auprès des communautés du nord du pays, elle reste méconnue en Europe, où elle a pourtant tourné il y a plusieurs années aux côtés de feu Aux Etats-Unis, son impressionnante tournée de 2011, sa voix, son style, ont marqué les esprits. A tel point que Timbuktu Tarab, son dernier album sorti en 2010 a été classé par le New York Times dans les meilleurs albums world de la décennie. En France, elle est l'invitée fin mars du festival Babel Med à Marseille, un concert qui fera certainement sortir de l'anonymat français cette grande voix du nord du Mali. Forte tête Fille d'un père touareg et d'une mère songhaï, Khaira Arby commence à chanter à onze ans, dans la troupe de Tombouctou, en 1972. Dans le cadre de la politique d'authenticité culturelle malienne, toutes les régions du Mali sont tenues de mettre en valeur le terroir de leur région. Le chef de cercle - le découpage administratif malien - donne à ses musiciens des thèmes "d'actualité", sur lesquels composer. Au départ, ce qui n'était qu'un passe-temps pour la petite Khaira, devient une activité à prendre plus au sérieux : elle quitte sa ville d'origine pour intégrer la troupe artistique de Gao, à 400 kilomètres à l'est. Son père refuse qu'elle chante, tente "d'éteindre" sa voix avec des breuvages, qui n'ont pour effet que renforcer son timbre. Au fil des années, la popularité de Khaira Arby augmente, elle est de plus en plus demandée pour les mariages, les fêtes, les circoncisions. Donnée en mariage à un homme qui refuse lui aussi qu'elle chante, comme beaucoup de ses contemporaines, elle interrompt sa carrière pour se consacrer à son ménage. Mais la frustration est trop forte : elle divorce, et intègre l'orchestre Badema National du Mali, avant de se lancer dans une carrière solo, au début des années 90. Forte tête, déterminée et indépendante, elle est la première femme à sortir un album en son propre nom dans la région de Tombouctou. Voix de la paix Dans Moulaye, son premier enregistrement studio, elle chante surtout en réaction à l'actualité de la région : en 1992, c'est la rébellion touarègue, les affrontements intercommunautaires au nord et l'exode massif des populations. Son premier disque appelle donc à la paix. Depuis, la ville de Tombouctou est régulièrement exposée aux flambées de violence entre les communautés touarègues et l'armée malienne. Tout son parcours d'artiste est jalonné par l'actualité politique et sociale de la région : elle appelle depuis vingt ans à l'union et chante dans presque toutes les langues parlées au Mali : songhaï, peul, tamasheq, bambara et même français. Un positionnement fort, qui lui vaut d'être particulièrement respectée au nord du Mali et invitée régulièrement depuis 2010 à l'assemblée des Nations Unies, à New York, pour chanter la paix. Avec sa voix atypique, Khaira Arby charrie toute la richesse culturelle de Tombouctou, son inéluctable mystère et toute son histoire, même la plus contemporaine. (RFI) *En concert le 31 mars au festival Babel Med Music à Marseille