Une conférence nationale a été organisée hier au siège du ministère des Droits de l'Homme et de la Justice Transitionnelle. Cette rencontre se donne comme point de départ pour un dialogue réunissant toutes les parties concernées par la justice transitionnelle. Des membres de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), des représentants d'associations de la société civile, de partis politiques et des personnalités étrangères qui se sont distinguées par une certaine maîtrise de la problématique de la justice transitionnelle ont pris part à ce colloque. La présence des trois présidents à la séance d'ouverture ne peut donner que plus de valeur et plus d'importance et traduit l'existence d'une volonté politique pour le traitement de ce dossier. Moncef Marzouki, président provisoire, a précisé qu'il est temps de commencer à mettre en pratique la Justice transitionnelle. Le questionnement, le rendre compte et la justice doivent précéder toute tentative de réconciliation. Hamadi Jébali, chef du Gouvernement provisoire, estime pour sa part que les conditions de la réussite existent. La création du ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle et l'absence d'esprit de vengeance sont des conditions de réussite. De son côté Mustapha Ben Jâafar, président de la Constituante a rappelé que l'article 24 de la loi fondamentale d'organisation provisoire des pouvoirs, stipule la promulgation d'un texte de loi organisant la justice transitionnelle. Il considère que les possibilités de réussite sont grandes. Un projet de texte de loi avait circulé dernièrement énonçant que l'Instance de Réconciliation et de Justice transitionnelle, est un établissement public dont le président et les membres seront désignés par le Chef du Gouvernement. Cette instance sera-t-elle indépendante et pourra-t-elle être neutre si ses membres sont désignés, exclusivement, par le Chef du Gouvernement. Quant au projet préparé par le Réseau Tunisien pour la Justice transitionnelle (RTJI), présidé par Dr Mohamed Kamel Gharbi, il confie la composition de cette instance à l'Assemblée Nationale Constituante, selon la règle de la majorité, Par ailleurs, les critères pour la définition des victimes qui auront droit à des réparations matérielles et morales tardent à être fixés. Si pour les détenus politiques qui se sont succédé dans les prisons tunisiennes depuis l'indépendance jusqu'au 14 janvier, les choses sont claires, pour d'autres catégories de victimes des questions se posent. Les Salafistes jugés dans le cadre de la loi anti-terroriste doivent-ils être couverts par la nouvelle loi ? Va-t-on considérer comme victimes ceux qui avaient participé au complot de 1962. Certains les considèrent comme des victimes, d'autres voient les choses autrement pour les désigner comme des comploteurs. C'est un dossier à ouvrir. A la fin des années 60, des victimes mortelles sans aucune appartenance politique, ont marqué la révolte des habitants d'Ouardanine. Leurs familles vont-elles bénéficier de réparations ? Lors des évènements de Gafsa en 1980, des victimes innocentes ont payé de leurs vies. Seront-elles couvertes par la nouvelle loi ? Les victimes de la révolte du pain de janvier 1984, ou du « jeudi noir » 26 janvier 1978, sont-elles concernées par la loi de la Justice transitionnelle ? Qu'en est-il des victimes de la violence des militants nahdhaouis de 1991, dans l'opération de Bab Souika ? C'est une opération reconnue par Abdelfattah Mourou et d'autres. Au Réseau Tunisien pour la Justice Transitionnelle, on considère que la Justice transitionnelle doit se faire en Tunisie selon des normes tunisiennes qui reflètent la volonté populaire et politique de rompre avec le passé et son système dictatorial et d'ouvrir la voie pour un Etat de Droit et des libertés. Plus de trente expériences enregistrées dans différents pays étrangers, peuvent être une source d'inspiration pour l'expérience tunisienne. Les victimes de la répression, de 1956 jusqu'au 14 janvier 2011, ainsi que leurs familles doivent être placées au centre du processus de justice transitionnelle. Elles doivent être associées de façon effective. Leur participation est une des garanties principales pour la réussite. Demander des comptes aux responsables directs des atteintes aux Droits de l'homme, n'exonère pas ceux qui ont participé de près ou de loin à ces agressions. Parallèlement à la justice transitionnelle, la réforme fondamentale des instances qui avaient participé aux violations des Droits de l'Homme est nécessaire. La sécurité, la justice et l'information sont concernées par ces réformes. L'indépendance de la justice est capitale. Par ailleurs, il est recommandé de séparer le processus d'amnistie générale de celui de la justice transitionnelle. Il est nécessaire d'établir la vérité et d'inviter les victimes et les responsables des atteintes aux Droits de l'Homme dans réunions d'échanges francs et de refaire une autre lecture de l'histoire juste et objective. Les atteintes doivent être classées et les responsabilités délimitées. Le rendre compte doit se faire conformément aux normes internationales. Les fautifs ne doivent pas être disculpés. Le bourreau doit demander pardon et la victime doit l'accorder. La réconciliation se fait à ce prix. Les réparations matérielles et morales aux victimes doivent se faire en fonction des spécificités du crime et du degré du préjudice. Cette réparation et la tentative d'encadrer psychologiquement et socialement les victimes sont une forme de présentation d'excuse officielle de la part de l'Etat et ses institutions, vu leurs implications directes dans les abus passés. Par ailleurs, la mémoire nationale doit être sauvegardée. Les aveux, les documents présentés, doivent être protégés. Ils pourront être consultés, par les chercheurs et les militants des droits de l'homme. L'objectif est d'éviter le retour aux anciennes pratiques. Des musées et des monuments commémoratifs permettront de garder en mémoire le sombre passé. C'est une manière d'immuniser les prochaines générations contre pareilles pratiques.