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«Vivre mieux plus simplement pour que ceux qui n'ont rien puissent simplement vivre » (Ghandi) Gustave Massiah, membre du Conseil International du Forum Social Mondial
Gustave Massiah, une des personnalités centrales du mouvement altermondialiste, membre du Conseil International du Forum Social Mondial parle dans cette interview des défis à relever par le Forum Social Mondial qui aura lieu en Tunisie l'année prochaine. Des défis d'ordre social, écologique géopolitique et politique. Le Temps : La Tunisie abritera en 2013 le Forum Social Mondial. Pourquoi particulièrement notre pays ?
Gustave Massiah : Le forum social mondial qui se tiendra à Tunis, représente pour nous une chance extraordinaire de faire évoluer le Forum Mondial Social. Le mouvement altermondialiste que nous avons essayé de construire, est passé par plusieurs étapes et a commencé en même temps que le néolibéralisme à la fin des années 70, par l'ajustement structurel, la lutte contre la dette… et qui a continué après la chute du mur de Berlin avec la bataille contre le chômage, la protection sociale, et l'emploi…nous a permis de créer le Forum Social Mondial. Il fallait que tous ces mouvements qui se battent, là où ils sont, réfléchissent à la manière de se battre au niveau mondial puisque le système est mondial…En plus, ce qui s'est passé en Tunisie, en Egypte, à Barcelone, à Wall Street…nous pousse à tenir compte de tout cela pour changer et transformer le Forum Social. Mais nous avons des défis à relever.
Quels sont ces défis ?
Le premier défi qui est le plus important, c'est la question sociale. Nous avons bien vu qu'à Redeyef, en même temps que la crise globale était reconnue mondialement, la réponse du peuple était la question sociale ayant trait au droit, à la couverture sociale, à l'emploi, au refus des inégalités, à la lutte contre la corruption...Mais ce Forum Social Mondial que propose-t-il jusqu'à présent ? En fait, la première chose qu'il propose c'est de mettre en avant l'égalité des droits, plutôt que les profits, et la deuxième chose qu'il fait, c'est que nous avons des propositions immédiates que nous faisons depuis 2001, dont le contrôle des finances, la taxe sur les transactions financières, la suppression des Paradis fiscaux et la question de redistribution des revenus…ces questions sont actuellement reconnues même au niveau du G20 et du G8. Mais évidemment, ils ne vont pas le faire parce que ce n'est pas dans leur intérêt. Et comme la crise mondiale va s'approfondir, nous continuons de nous battre sur ces questions. Le deuxième défi à relever est d'ordre écologique. Brutalement, on se rend compte que l'organisation du monde est entrée en contradiction avec l'écosystème de la planète et ce pour la première fois dans l'histoire de l'humanité. De ce point de vue, il y a trois réponses possibles, et c'est ça le débat du Forum Social Mondial. La première réponse est que font ceux qui dirigent aujourd'hui, c'est-à-dire le capitalisme financier, il faut créer des nouveaux marchés, il faut que les capitaux organisent la production de la nature et des vivants et il faut les privatiser. Et nous disons que c'est la catastrophe. Les plans d'austérité sont faits pour ça. La deuxième orientation, c'est, est ce qu'on peut avoir un genre de capitalisme vert, plus régulier et organisé au niveau mondial comme le new deal lors des années 30 qui a été une autre forme d'organisation ? Il y a des gens qui défendent cette position. Ça peut être intéressant mais en réalité, il n'y a aucune chance de l'appliquer parce que ceux qui dirigent sont les capitalistes financiers et, pour nous, cela veut dire qu'on continue à faire de la croissance, ce qui est incompatible avec la question de l'écologie et donc, la mise en avant c'est l'idée de la transition écologique et sociale. C'est-à-dire modifier les concepts, proposer par exemple les biens communs au lieu de la vente de marchandises, proposer le bien être comme alternative au mode de consommation…toutes ces propositions vont être discutées. Quelles sont les demandes immédiates que nous faisons sur le contrôle des finances et quelles sont les perspectives à terme pour changer le mode de développement. Le bienêtre ne veut pas dire consommer moins pour ceux qui n'ont rien. Au contraire cela veut dire que ceux qui ont trop consomment moins pour que ceux qui n'ont pas puissent consommer plus et mieux. Il y a une très belle phrase de Ghandi qui dit : « vivre mieux plus simplement pour que ceux qui n'ont rien puissent simplement vivre ». Est-ce qu'un pays peut l'appliquer tous seul. Non. Mais il peut s'engager dans cette voie si les mouvements le poussent.
Un autre enjeu très important est celui d'ordre géopolitique. Il existe actuellement un basculement du monde et ce n'est pas unique au niveau des pays émergents, il s'agit aussi du déclin de l'Europe et du Japon. Mais auquel ils répondent par la stratégie du choc, c'est-à-dire par la déstabilisation comme nous pouvons le voir en Libye, au Sahel, au Mali aujourd'hui et la Palestine…Nous prenons acte du déclin de l'hégémonie, mais nous posons une question. Qu'elle pourrait être la nouvelle phase de décolonisation ?
Un autre défi que nous allons avoir à relever, c'est le défi politique, de la démocratie et qui se joue pour nous sur trois aspects. La démocratie ça veut dire écouter ce que proposent les jeunes de réinventer la démocratie, ce qui a été proposé en Tunisie, par les indignés ou par les « occupy de Wall Street » qui ont dit d'ailleurs vous êtes 1 % et nous sommes 99 %. C'est juste, mais ça ne résout pas la question. Parce que comme le dit bien un philosophe américain Val Einstein : « 99 % c'est formidable, mais ça ne suffit pas pour faire une majorité ». Il faut quand même trouver des formes politiques de majorité pour pouvoir arriver à avoir des gouvernements, des parlements…et la troisième question : c'est quel est le rapport entre la bataille nationale et la bataille internationale.
Mais il ne faut pas négliger un autre facteur, la présence des islamistes et des salafistes.
Je pose une question à ce niveau est-ce que les mouvements islamistes étaient à l'origine de ce qui s'est passé en Tunisie et en Egypte ? La réponse est non. C'est pour eux une défaite idéologique. Leur idée est qu'ils représentent toute la société, et ce n'est pas une question à discuter. Je pense que c'est le début de la contradiction, de la sécularisation. Ils seront confrontés aux attentes de la masse et donc, à partir de là, les contradictions vont se développer chez eux. Il y aura dès lors, une bataille politique avec beaucoup de difficultés, de très grands risques, mais également, avec de très grandes opportunités.