Selon une idée tenace, le développement durable, comme tout ce qui se rapporte à des enjeux de portée internationale, relève des seules négociations entre gouvernements dans les enceintes des institutions internationales. Le développement durable serait une affaire de haute politique internationale, durablement hors de portée du simple citoyen. Il en va ainsi des principaux artisans du développement durable : Premiers ministres, Chefs d'Etat, Secrétaires généraux d'institutions internationales..., et la société civile ne serait ni sollicitée, ni motivée pour s'inviter aux grandes rencontres internationales. Toutefois, cette façon de voir les choses n'est plus pertinente aujourd'hui. La « gouvernance » mondiale s'est progressivement démocratisée et la société civile voit son rôle progresser. J.Pronk, l'envoyé spécial de Koffi Annan au Sommet de Johannesburg de 2002, rappelle que « l'avenir de la planète ne peut pas dépendre de nos seuls gouvernements. Dans un monde globalisé, de plus en plus interconnecté, notamment par les effets de la mondialisation économique, le rôle de la société civile est capital pour que nous puissions tracer les grandes lignes d'un développement soutenable à long terme ». Avec l'apparition des thèmes dépassant les frontières nationales (mondialisation, développement durable), on assiste à l'émergence d'un mouvement citoyen mondial avec un nouveau répertoire d'actions possibles. C'est le cas de la mouvance altermondialiste, véritable « matrice systématique des alternatives » qui place d'emblée la réflexion à l'échelle planétaire. Mais, si les aspirations convergentes sont bien réelles, il manque encore aux altermondialistes une stratégie globale commune. La société civile est, donc, bien présente tant au niveau local que national ou international en matière de développement durable. Dans chaque pays, de multiples associations, se rattachant aux thématiques du développement durable, voient régulièrement le jour. Elles s'articulent, pour la plupart, autour « d'Agenda 21 » locaux, issus de la dynamique de Sommet de la Terre de Rio en 1992 et conçus dans un esprit participatif. L'émergence d'une société civile favorable au développement durable au niveau international est issue, quant à elle, de la rencontre entre les ONG opérant dans le domaine du développement économique et social et les associations nationales défendant des valeurs écologiques. Posées en modèle alternatif aux Etats et institutions internationales, les ONG dénoncent, dès les années soixante, les dégâts environnementaux associés aux modèles de développement proposés aux pays en voie de développement. En 1971, l'année de la Conférence de Stockholm, naît Greenpeace, première ONG spécialisée dans la défense de l'environnement. C'est le début d'un vaste processus de « professionnalisation » des ONG, alimenté par la multiplication des catastrophes industrielles à travers le monde (Tchernobyl en 1986, des marées noires du Torrey Canyon en 1967…). S'inspirant des associations écologiques nationales, les ONG intègrent progressivement deux compétences nouvelles : la communication et l'expertise. Une médiatisation, d'abord, tous azimuts leur permet de provoquer une prise de conscience écologique dans le grand public et d'apparaître, sur les questions de développement durable, comme les porte-drapeaux désintéressés et « hors frontières » de la société civile. L'expertise, ensuite, les amène à faire jeu égal avec les cabinets d'experts et les universités. De la méthode et de l'ouverture, justement, l'ONG en propose dans le domaine du développement durable. Contrairement à l'OMC, qui « dialogue » avec les altermondialistes sans jamais rien modifier à son action, l'ONU tente d'inclure la société civile au cœur de la prise de décision. Le principe n°10 de la Déclaration de Rio de 1992, affirme que « la meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient ». En ce sens, le chapitre 27 de l'Agenda 21 est entièrement consacré « au renforcement du rôle des ONG, partenaires pour un développement durable ». «L'indépendance », le « rôle constructif dans la société », « l'expérience », les « capacités solides et diverses », l'existence de « réseaux » sont autant d'atouts mis en avant par l'ONU pour justifier son choix de faire participer les ONG jusque dans les assemblées générales de l'Organisation. En 1996, les ONG sont officiellement reconnues comme « experts techniques, conseillers et consultants des Nations-Unies ». Aujourd'hui, 2010 ONG, appartenant à 90 pays, sont accréditées par l'ONU contre 41 associées en 1945. Elles sont, désormais, intégrées à tous les niveaux : prise de décision, évaluation des politiques et programmes, suivi de l'Action 21 dans le cadre duquel elles bénéficient d'aides financières et de soutiens administratifs visant à appuyer leurs efforts. C'est ce que l'ONU qui invite, également, les Etats Membres à prendre des mesures en ce sens, nomme « la démocratie participatoire ». Toutefois, cette « démocratie participatoire » n'est pas exempte de critiques. La non représentativité des ONG est couramment évoquée et force est de constater que la société civile œuvrant pour le développement durable ne se traduit pas aux seules ONG. Lors du Sommet de Johannesburg de 2002, plus de 7000 associations présentes et non accréditées ont organisé un contre Sommet à Nasrec (au Sud de Johannesburg), afin de réaliser un « Programme 21 » répondant à l'Agenda 21 élaboré à Rio. La surreprésentation des ONG du Nord dans les « prepcoms » (preparation Committees), où se définissent les programmes des Conférences plénières de l'ONU, est également dénoncée. De plus, on reproche aux ONG leur manque de légitimité précisément en raison de leur indépendance : elles n'ont de « comptes » à rendre qu'à leurs propres mandats. Certains vont jusqu'à dénoncer un phénomène « d'ONG-isation » au cours duquel les centres de décision se déplacent des institutions vers les ONG, provoquant des problèmes de transparence, de contrôle démocratique sur les décisions politiques, de « modes » générant une logique clientéliste et permettant plus de définir des priorités à long terme pour les acteurs locaux. Pourquoi avoir alors intégré les seules ONG aux processus de décision ? En dehors de leur professionnalisation évoquée plus haut, il est possible d'avancer au moins deux éléments de réponse : la perte de légitimité de l'ONU et le caractère trop hétérogène, voire hétéroclite de la société civile. «Le risque existe que les gens perdent confiance dans la capacité de l'ONU à s'attaquer aux problèmes de la Terre » Pour J.Pronk, la légitimité des institutions internationales est en jeu aujourd'hui : intégrer la société civile au cœur du processus de décision revient, pour l'ONU, à restaurer son image auprès de l'opinion publique. Dans cette perspective, la société civile occuperait une fonction de couverture démocratique des institutions internationales. « Nous avons conscience qu'il (le Sommet de Johannesburg) donne l'image d'un grand cirque. Mais, les gens qui participent à ce cirque ont une vraie compétence » affirme le même J.Pronk. En effet, comment prendre en compte le « poids physique de la rue » ? Quel acteur l'ONU pouvait-elle intégrer en premier aux débats, sans pour autant sombrer dans la foire d'empoigne ? Là encore, le choix des ONG, malgré les limites de ces dernières, s'est imposé de soi. C'est un premier choix, imparfait, mais qui présente l'immense avantage, comme tout premier choix, d'ouvrir une voie nouvelle de réflexion et d'action. Il faut voir dans cette combinaison innovante une esquisse, un espace public mondial en devenir. Cependant, d'autres initiatives élargissant le champ des acteurs au-delà des seules ONG émergent progressivement. Citons les espaces de débats comme le Forum Social Mondial qui réunit chaque année les organisations citoyennes et altermondialistes de nombreux pays pour mener une réflexion à un autre monde possible (ce Forum s'est tenu à Nairobi au Kenya en 2007) ou encore le Forum Social Européen qui intègre de plus en plus de thématiques liées au développement durable (Le cinquième Forum s'est tenu à Malmö en Suède en 2008). Par Azouz BEN TEMESSEK * Assistant en Droit et Sciences Politiques