Le 16 et 17 Avril derniers s'est tenu à Jerba la 6ème Conférence Internationale sur la Gestion des Destinations Touristiques Importantes avec pour thème majeur : « l'Avenir du tourisme en Méditerranée ». Elle réunissait 300 experts internationaux de 40 pays environ, réunis pour « réinventer le tourisme méditerranéen » ! Au-delà, de conclusions et de propositions qui seront certainement très pertinentes, à plus ou moins long terme, peut-on formuler quelque réflexions simples qui pourraient avoir des effets immédiats. REDONNER LA TUNISIE AUX TUNISIENS Indépendamment du fait certain qu'un important tourisme local est un excellent amortisseur de crise qui remplit hôtels et restaurants quand les touristes étrangers les désertent, nous pensons que le peuple tunisien a droit à des vacances et des loisirs. Nous n'inventons rien. C'est incontestablement la légalisation des « Congés payés » ainsi que l'organisation des séjours et des déplacements de la masse des travailleurs français qui ont « amorcé » le tourisme en France. Il compte aujourd'hui 17 ou 18 millions de visiteurs sans compter les touristes « locaux ». Même si les plus belles plages de Tunisie ont été « confisquées » au profit d'étrangers aisés, qui dénaturées et bétonnées, il reste encore bien des endroits très agréables où pourraient venir les touristes tunisiens. Que sont devenus les « Camps de Jeunes » de Bir El Bey et d'Aïn Soltane ? Les plages de la côte Nord : Melloula, proche de la frontière algérienne, Berkoukech, l'Oued Zouara, Cap Negro, Sidi Mechrig, Cap Serrat, etc. … jusqu'à Bizerte, toutes celles du littoral du Cap Bon, toutes celles du Sahel puis, du Golfe de Gabès ne sont pas saturées, loin de là. Nous en connaissons : Oued El Abid, Lobna, Hergla, Ghdhabna, Skhira, etc. … où on compte 20 baigneurs au kilomètre ! Il ne leur manque que des accès faciles. Les forêts et les montagnes, si salubres, sont pratiquement abandonnées à part celles de la région d'Aïn Draham. Nous avons cité Aïn Soltane, proche de Ghardimaou, mais, tandis que le Jebel Zaghouan peine à démarrer, le petit hôtel du Jebel Bargou est inemployé alors qu'il est superbe. Les alentours forestiers de Makthar, de la Kesra, de Thala, de Kasserine – à part le Parc National du Jebel Chaambi – ne voient pratiquement pas de visiteurs et encore moins de résidents. Pourtant, les habitants des Monts des Ksour sont en train de prouver qu'un autre tourisme, sans grands hôtels luxueux ni piscines « hollywoodiennes », ni « tape » à l'œil, très « kitch », de mauvais aloi, ni de fausse couleur locale, peut réussir, même avec des étrangers, en multipliant les chambres d'hôtes et les gîtes ruraux. Le désert souffre manifestement d'un désert d'idées. Il est actuellement livré aux 4 x 4 qui n'y font que passer rapidement en abandonnant aux creux des dunes des monticules de déchets. Combien d'établissements tunisiens y organisent des méharées et des séjours ? DES TOURISMES ALTERNATIFS POPULAIRES Les rencontres que nous faisons régulièrement nous prouvent que les tunisiens sont friands de tourisme culturel. La meilleure preuve en est les groupes de jeunes gens qui se mettent à nous suivre chaque fois que nous guidons des amis à la découverte des monuments d'une ville ou de ceux d'un site historique. La recherche des plantes telles que les orchidées ou les plantes médicinales les intéressent tout autant. Souvent, jeunes gens, adultes et vieux, se mêlent au groupe de visiteurs et participent à la discussion. L'observation des oiseaux et des animaux sauvages, l'art d'apprêter la laine avant de la filer et de la tisser, la préparation des mets, toutes les techniques artisanales nous ont été enseignées par la population tunisienne. Le tourisme « vert », l'écotourisme exigent la collaboration des gens du cru qui sont très fiers de constater que leur environnement quotidien intéresse des « étrangers ». Si, de plus, ils tirent profit de ces visites – et même de parties de chasse ! – ils protègent jalousement leur environnement. Il y a des milliers de diplômés chômeurs alors que l'on manque cruellement de « guides » compétents dans tous les domaines. Il faudrait que les jeunes gens comprennent que les aides gouvernementales ne sont pas seulement destinées à leur faire attendre une embauche, mais qu'elles doivent aussi leur permettre d'acquérir une « occupation » par le biais d'une formation volontaire et personnelle. Quoi de plus facile pour un diplômé de lettres, de sociologie, d'histoire que de guider des visiteurs dans les domaines de la culture, de l'histoire et même de l'agriculture locales et régionales, à condition de se renseigner un peu ? Est-il difficile de guider des gens en forêt ou le long de chemins ruraux qu'ils ne connaissent pas, tout en leur montrant, par exemple, les plantes qu'on peut manger et celles qui guérissent ? Les monographies locales et régionales, produites par des « diplômés », manquent absolument. UN MOYEN Le tourisme populaire et les multiples « petits » métiers qu'il génère : rôtisserie, épicerie, débit de boissons, etc. …, ne peut prendre son essor qu'à deux conditions, à notre avis. Il peut engendrer aussi le développement de l'artisanat traditionnel et nouveau : la fabrication des jouets, par exemple. Il faudrait d'abord se débarrasser d'une lourde administration tatillonne et libérer les initiatives. Est-ce vraiment le rôle d'un ministère de fixer les dimensions d'une chambre d'hôte ? Le client satisfait ou non fixera les dimensions qui lui conviennent en la fréquentant ! Deuxièmement, à notre avis, il faudrait faciliter les déplacements en les rendant moins onéreux. Et, tout le monde sait que le moyen de transport le moins cher et le moins polluant est le chemin de fer. Or, le pays disposait – dispose encore – d'un bon réseau ferré. D'abord le remettre en état puis l'entretenir créerait de multiples postes d'emploi, principalement dans les régions « déshéritées » et économiserait des carburants chers. Est-il vraiment rentable d'étudier à grands frais la construction d'une autoroute reliant le Sahel à la région de Gafsa quand il existait une voie de chemin de fer, dont les terrains appartiennent encore sans doute à l'Etat, qui reliait Sousse à Gafsa jusqu'en 1969 ? Les lignes de chemin de fer qui drainaient les richesses minières et agricoles de l'Ouest tunisien vers les ports n'ont pas disparu. Des milliers de chômeurs pourraient être employés à leur réhabilitation qui permettrait, d'une part, aux populations locales d'aller à la plage, d'autre part, aux visiteurs peu fortunés de connaître les régions dites « déshéritées » bien que richement dotées en curiosités variées. Nous ne comptons pour rien les marchandises et les voyageurs « réguliers » qui les utiliseraient. Le succès des récents voyages d'agrément, en chemin de fer, Tunis - Mdeïna / Althiburos dans la région d'El Kef, nous fait penser que l'on pourrait organiser, dès demain, des voyages vers Bulla regia et Chemtou à partir de la gare de Jendouba, vers le Parc National d'El Feïja à partir de Ghardimaou, vers toute la région de Gafsa, Metlaoui et Redeyef jusqu'à Tamaghza et Chebika à partir de Sfax. La remise en état de la voie Sousse - Kasserine - Henchir Souatir - Redeyef mettrait à la disposition du public des sites tels Kairouan, Sbeïtla, Kasserine / Telepte. Elle passerait à une vingtaine de kilomètres seulement de Sidi Bouzid ! A côté d'un tourisme de masse, prédateur, côtier, saisonnier et otage des modes étrangères, ne pourrait-on pas mettre en place, très vite, un tourisme populaire, tunisien, créateur d'emplois et ne nécessitant pas d'énormes investissements ni de grandioses infrastructures hôtelières en particulier ?