Prévu pour être célébré en grande pompe et pour drainer la grande foule des pèlerins, le rituel annuel de la Ghriba, qui vient de prendre fin dans les meilleures conditions, n'a pas bénéficié de l'affluence escomptée. Quelques semaines avant son avènement, tout prédestinait le pèlerinage de cette année à la réussite, et pour être celui de la relance, d'autant que les festivités avaient été suspendues l'an dernier en raison de la conjoncture peu propice. En effet, la visite effectuée par le Président de la République à la Ghriba le 11 avril, en commémoration du dixième anniversaire de l'attentat, ajoutée au discours rationnel et rassurant tenu par le Premier Ministre lors de la cérémonie d'ouverture des travaux de la 6è Conférence Internationale sur la gestion des destinations n'étaient en fait que pour répliquer aux slogans haineux et discriminatoires proférés par une poignée de fondamentalistes, pour couper court aux lâches tentatives de déstabiliser des convictions profondément ancrées et aux vaines velléités de remise en cause du droit à l'existence de l'autre, avec et malgré sa différence, et de la liberté de pratique cultuelle, et qu'inciter les plus réticents à venir célébrer ce rituel. Mais, contre toute attente, il a suffi d'abord qu'une honorable dame, élue pour faire œuvre utile au sein de la Constituante, n'ayant rien trouvé de mieux à dire, comme pour raviver les rancœurs et attiser les tensions, se hasarde à divulguer gauchement, inopportunément, et sans preuves tangibles, une information d'une rare gravité, se permettant de comparer l'île de Djerba à « une seconde Palestine » sur le point d'être phagocytée par le « danger juif », puis d'autre part que le Conseil israélien de sécurité nationale mette en garde officiellement contre les voyages et le pèlerinage en Tunisie pour que le doute s'installe et que les prévisions, annoncées prometteuses, soient revues à la baisse. Des 1300 pèlerins étrangers annoncés, seuls environ deux cent cinquante ont fait le déplacement ; « Mark Zuckerberg, le co-fondateur et PDG de Facebook, compté pour être parmi les invités d'honneur, a fini par annuler au dernier moment sa venue », nous a rapporté Annie Kabla, Djerbienne de confession juive, membre actif et agissant au sein de la société civile insulaire. Cherchant à illustrer par les faits les messages de tolérance et de solidarité expressément formulés à répétition dans les discours officiels, le ministre des Affaires Religieuses a dépêché une délégation de trois hauts cadres de sa tutelle. « Nous sommes ici pour féliciter nos compatriotes et frères juifs dans ces moments de grande joie et de liesse, et leur rappeler notre attachement infaillible aux valeurs de tolérance, et de respect des droits à la différence et des libertés, a tenu à préciser Mme Najet Hammami, attachée de presse du ministère. « M.Noureddine Kademi, ministre des Affaires Religieuses a souligné, lors de la rencontre qu'il a eue vendredi 30 mars avec Roger Bismuth, président de la communité juive en Tunisie, que la communauté juive en Tunisie bénéficie du principe de citoyenneté et que l'atteinte aux religions célestes est contraire aux principes de l'Islam, a-t-elle ajouté. La Mnara ou le rituel de la procession Le pèlerinage de la Ghriba, ce rituel annuel fêté pour commémorer l'anniversaire de la mort de deux éminents rabbins kabbalistes : Rabbi Meyer Baal Bail Heness, homme de miracles, et Rabbi Shiméon Bar Yohai, à qui les juifs d'Afrique du Nord attribuent l'un des commentaires du Zohar, le livre des Splendeurs, et l'un des grands ouvrages de la mystique juive, s'est déroulé cette année les 9 et 10 mai. En pareille période, avant la Révolution, le dispositif sécuritaire mis d'habitude en place prenait tellement de l'ampleur et était tellement impressionnant et imposant qu'il frisait l'impensable et l'arrogance ; à mesure que l'échéance s'approchait, l'étau sécuritaire se resserrait autour et à l'intérieur de l'île au point qu'elle finissait par être presqu'assiégée, ses habitants interdits de libre circulation, et certains lieux et locaux publics réquisitionnés pour la circonstance. Or, cette année, le dispositif sécuritaire déployé, quoi que important, était discret mais efficace et n'a nullement irrité la population locale, ni compromis ses affaires courantes quotidiennes. Jeudi 10 mai était le jour prévu de la Ziara ; le moment était très attendu : tôt dans l'après-midi, les pèlerins, étaient tous réunis dans l'oukala, le caravensérail en face de la synagogue, aménagé le temps des festivités en un espace de contact et de consommation de victuailles de toutes sortes, grillades, briks, gâteaux, boissons, etc... . Dans les différentes cours du caravansérail et dans les couloirs, on boit, on mange, on chante et on danse, dans une ambiance de ferveur et de liesse, comme le veut la tradition, comme le stipulent les règles régissant le rituel. La Mnara, une pyramide hexagonale en argent dans laquelle sont inscrits les noms des douze tribus d'Israël et ceux des rabbins renommés de Tunisie, décorée de foulards vendus aux enchères, est semblable à la jeune fille sur le point d'être conduite à son époux. Conduite en procession, après avoir quitté le fondouk pour un petit tour dans les ruelles du village de Hara Sghira, elle était précédée de l'orchestre local, parée de tous les soins, suivie et entourée de toutes et de tous, entonnant en chœur durant tout le parcours des chants et des refrains connus puisés dans le répertoire local. Au retour de sa promenade rituelle, la Mnara a regagné la seconde grande salle de la synagogue pour y retrouver la place qui lui revient. Tout est bien qui finit bien : M. Elyès Fakhfakh , ministre du Tourisme, était là au retour du cortège ; place était alors aux discours protocolaires de bienvenue, de félicitations, d'hommages, de reconnaissances et de souhaits, reçus par des applaudissements nourris et enthousiasmés de l'assistance.