La pratique de la pêche anarchique illicite refait surface, et de plus belle ; elle est de nouveau sur les lèvres au vu de la recrudescence du phénomène qui n'est plus un secret pour personne, hormis peut-être pour ceux qui sont payés pour l'interdire. Des dizaines de bateaux armés jusqu'aux dents, treuil dehors, au vu et au su de tous, quittent quotidiennement le port de Houmt-Souk en direction de la côte nord et nord-est pour pêcher à leur guise, immoralement, bravant éperdument le règlement régissant l'activité, puis y reviennent sans nullement être dérangés par les gardiens du temple. Au sud de l'île, la situation n'est pas plus reluisante : la lagune de Boughrara où la profondeur de l'eau varie entre 0,5 et 16 m au maximum, est sillonnée par une flottille de grands chalutiers opérant selon des techniques dévastatrices qui ravagent tout dans leur sillage, ramassant l'herbier de posidonie, les œufs, les poissons, grands et petits. De la sorte, la faune et la flore marines se sont appauvries considérablement, les vastes prairies à posidonie qui offraient oxygène et gîte de nidification pour les poissons se sont désertifiées, le gibier s'est raréfié, et cette mer jadis généreuse et nourricière, ne satisfait plus et ne fait que difficilement vivre les centaines de pêcheurs d'Adjim, de Mellita, de Boughrara, d'El Grine, de Ataya, etc...qui peinent jour après jour à trouver leur compte. De telles méthodes intensives et illicites de pêche, outre les dommages désastreux qui affectent l'écosystème et la grave détérioration des conditions hydro biologiques, elles constituent une menace constante tant pour les filets tendus des pauvres pêcheurs scrupuleux et respectueux des normes, que pour les pêcheries fixes ( « Zerba « ou « Cherfi » comme désignées à Kerkennah ), cette méthode de pêche artisanale heureusement encore en vigueur et dont l'installation, du reste coûteuse en temps, en effort et en argent, n'est pas une moindre affaire.
L'autorité de tutelle fait la sourde oreille
Les responsables locaux concernés, vivement sollicités pour intervention par les pêcheurs, se sont mobilisés tous azimuts, à vrai dire, régionalement et à l'échelle nationale, et ont agi à la mesure de leurs prérogatives. « Devant la pression croissante exercée, non sans raison sur nous, par l'ensemble des pêcheurs, et conscient de la gravité de l'état des lieux, je me suis rendu le 23 mai à Tunis en compagnie de M Mongi Borgi, membre de l'Union régionale de la pêche et de M.Lazhar Zayoud, président du syndicat de la pêche pour transmettre les doléances des pêcheurs à qui de droit, dont M. le Ministre de l'Agriculture, le secrétaire d'Etat à l'Agriculture et le directeur de l'Office Nationale de la Pêche », tenait à faire savoir M.Mehrez Ben Hriz, membre de l'Union locale de la pêche. « Quand nous sommes rentrés à Djerba, nous étions naïvement convaincus qu'une réaction salutaire allait survenir, forts des promesses fermes qui nous avaient été faites, mais en vain.», a-t-il amèrement ajouté.
Les pêcheurs passent à l'action
Exaspérés par l'arrogance des contrevenants se plaisant à agir effrontément, forts certes du laxisme et du mutisme inexpliqués de la gendarmerie marine, les pêcheurs, à bout de patience et en désespoir de cause, ont fini par craquer en laissant exploser leur colère : ils n'ont pas trouvé mieux pour faire entendre leurs voix, pour dire vivement leur indignation que d'investir massivement, mardi 12 juin à 09 heures du matin, le port de pêche d'Adjim et de former avec leurs embarcations un rempart infranchissable empêchant les bacs d'accoster et imposant ainsi le fait accompli tant aux responsables qu'aux pauvres usagers des bacs. Depuis lors, les dessertes assurées par les bacs entre Adjim et Djorf ont été interrompues, pour le malheur des milliers de pauvres voyageurs devant se rendre à Djerba et qui n'avaient plus d'autres choix que de faire le détour par la chaussée romaine. « Nous n'avons recouru à cette démarche, certes condamnable et que nous regrettons à cause du désagrément que nous faisions subir aux usagers des bacs, qu'après avoir épuisé toutes les cartes et attendu vainement l'application du règlement en vigueur qui tardait à venir. Nous faisons vivre nos familles de la pêche que nous puisons dans cette lagune qui est malheureusement victime d'une grave nuisance perpétrée impunément par des malfrats corrupteurs et sans scrupules», a confié M.Néjib Bechouiche, président du Syndicat de la pêche côtière.
Le sit-in observé par les pêcheurs d'Adjim et de Ayati n'a pris fin que jeudi à 14 :30, suite à l'accord conclu lors de la réunion tenue à Adjim entre les représentants du syndicat de la pêche, du Groupement de développement de la pêche , de la société civile et des partis politiques et le directeur du District de la garde nationale dont les unités sont les premières à être désignées du doigt et accusés de laxisme et qui s'est engagé entre autres, procès verbal à l'appui, d'intensifier les opérations de contrôle en consacrant des unités en patrouille permanente et de veiller à l'application du règlement régissant l'activité.
Qu'attend-on pour appliquer la loi ?
Le règlement de la Commission européenne de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), est entré en vigueur en Tunisie en janvier 2010, et il y a lieu de rappeler que notre pays a été l'un des premiers à avoir promulgué des lois régissant ce domaine. Auparavant, en 2009, une loi a été promulguée instaurant le repos biologique dans le secteur de la pêche. Or, la prévalence de nos jours encore de la pratique de la pêche illicite, en dépit des plaintes à répétition émanant des pêcheurs lourdement lésés, est en nette contradiction avec la législation avant-gardiste en vigueur. Avant le 14 janvier, les contrevenants n'avaient pas à se faire de soucis, corruption aidant, ou agissant sous le couvert de puissantes personnalités aux bras longs ; mais maintenant, la conjoncture est autrement faite, qu'attend-on alors pour sévir sévèrement contre ces ignobles braconniers, pour le bien des hommes et le salut de la nature ?