Dans son tout dernier rapport, Human Rights Watch sonne le tocsin quant au danger qui plane sur la liberté d'expression et de création en Tunisie. C'est lors de la dernière conférence de presse que le Directeur Adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch, a déclaré que le recours à la législation pénale par les procureurs pour museler les arts ou les médias est une atteinte dangereuse qui étouffe le libre arbitre, enchaîne les stylos et bâillonne l'esprit créatif.
C'est ainsi que l'exposition «Printemps des arts» s'est métamorphosée en «Crise des arts. Une exposition où l'on vu se théâtraliser une lutte agressive entre les principaux comédiens : les artistes (peintres et sculpteurs) et les pseudo-conservateurs. Criant au sacrilège de la religion et taxant les œuvres d'art de mécréantes et de blasphématoires, on s'est plu à en faire une affaire d'opinion publique, de personnel et d'atteinte au Sacré.
Les artistes et l'épreuve anthropométrique
Présente à la conférence, l'artiste Nadia Jelassi a annoncé qu'elle avait été appelée, deux jours après l'exposition d'Al Abdelya, par la police judiciaire pour la mettre au courant sur l'enquête qui vient d'être ouverte sur le contenu des œuvres exposées. Le 17 août, elle a été convoquée par le juge d'instruction du tribunal de première instance de Tunis. Son accusation : «avoir nui à l'ordre public et aux bonnes mœurs» selon l'article 121.3 du code pénal !! Le calvaire commença et, toujours selon ses propos, le juge l'interrogea même sur ses intentions derrière son œuvre d'art où elle chercherait à provoquer une partie du peuple !
Nadia Jelassi, artiste plasticienne et chef de département des arts plastiques à l'école des Beaux Arts de Tunis, n'est pas au bout de ses peines. Le 28 août, deuxième interrogatoire devant le juge d'instruction. Traitée comme une criminelle, elle se trouve mêlée aux bandits et aux délinquants. Sur place, on la mesure, on la prend en photo et on la met à l'épreuve anthropométrique. L'accusation tomba : trouble à l'ordre public. Son tort : avoir exposé une scène de lapidation où des bustes de femmes portant le voile sont entourés de pierres.
Second artiste convoqué par la justice, Mohamed Ben Slama. Son tableau (des fourmis sortants du cartable d'un écolier et formant une transcription : Sobhan Allah (Gloire à Dieu) est jugé impie. Pour l'instant, il est à l'étranger.
Au final, nos deux artistes risqueraient gros ! A savoir entre 6 mois et 5 ans de prison pour des œuvres qui n'incitent ni à la violence, ni à la haine ou aux bonne mœurs. C'est dans ce sens-là que Human Rights Watch tire la sonnette d'alarme contre l'application du code pénal à savoir l'article 121.3 qui a toujours été considérée comme loi répressive et menace de prison les artistes. Selon Human Rights Watch, ces mesures sont périlleuses et prouvent une tentative de censurer la liberté d'expression et réduire à la frustration toute tentative de créativité.
Halte aux lois répressives !
Au terme de la conférence de presse, le Directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch, Eric Goldstein conclut : « Nous observons à présent que tant que le gouvernement provisoire ne se fixe pas comme priorité de se débarrasser de telles lois, la tentation est irrésistible de les utiliser pour réduire au silence ceux qui sont en désaccord ou qui pensent différemment ».
Il est à rappeler que les interventions des représentants du gouvernement provisoire quant à l'affaire d'Al Abdelya étaient toutes accusatrices et dénonciatrices du contenu des œuvres exposées. Il suffirait de se rappeler la conférence de presse donnée au Premier ministère et le discours accusateur des ministres des Affaires religieuses, celui des Droits de l'Homme et celui surtout du ministre de la Culture où les artistes étaient traités de mécréants.
Deux jours avant ce fameux point de presse, deux anciens rcdistes avaient exhorté les salafistes à attaquer le palais et saccager les œuvres d'art... Une exposition où aucun incident n'est survenu durant les dix premiers jours.
L'on se demanderait qui sont les véritables fauteurs de trouble ? Qui a troublé réellement l'ordre public ? Comment se fait-il qu'un artiste est jugé comme un criminel pour une œuvre d'art et que la liberté d'expression et de création soit réprimée ?