Le niqab, ou voile intégral, quasiment interdit d'apparition dans nos rues avant le 14 janvier, a commencé à émerger depuis l'avènement de la Révolution. Quelques femmes et filles, heureusement très peu nombreuses encore, n'éprouvent aucune gêne à se montrer couvertes des pieds jusqu'à la tête, défiant le risque d'être l'objet de dédain de la part des passants et de brusquer leur regard peu accoutumé à la vue de telles silhouettes non identifiables, de noir vêtues, circuler dans nos rues et fréquenter les places publiques. Si le port de ce voile avilissant relève de la liberté individuelle, comme le prétendent ses défenseurs, et s'il est toléré au nom de cette même liberté et au nom de l'affirmation de soi, tel ne doit plus être le cas quand cet accoutrement funeste, intrus, traditionnellement ancré et bien en usage loin de nos cieux, fait son irruption dans les espaces éducatifs, à l‘université comme aux lycées ou aux écoles préparatoires. Une étudiante ou une élève n'est nullement en droit d'exiger son droit d'assister aux cours, toute voilée, au nom de cette prétendue liberté de s'habiller. Car l'enseignant, dans l'exercice de ses fonctions, doit savoir à qui il a affaire, reconnaitre l'identité de tous les apprenants, découvrir leurs traits et connaitre leurs réactions envers leur interlocuteur. Or, le port de ce voile, parce qu'il empêche la communication avec l'autre, est contraire aux règles basiques que préconise la pédagogie de la classe ; il entrave également la reconnaissance de l'identité, et peut donc poser des problèmes de sécurité. Ne pas interdire le port du voile intégral à l'intérieur des salles des cours porte préjudice à l'homogénéité des classes, et constitue une incitation à la politisation de l'école et une consécration de la discrimination parmi nos élèves qui sont à prémunir de tout conflit idéologique ou cultuel. Puis, n'est-ce pas injuste de permettre aux unes, au nom de la liberté vestimentaire et individuelle, ce que l'on a toujours interdit aux autres, à raison, soit dit en passant, au nom de la conformité aux règles de conduite et à la morale en usage dans l'enceinte des établissements éducatifs ? Si l'on admet aux unes d'entrer en classe intégralement voilées, au risque de susciter l'indignation et d'exaspérer les sensibilités, libres aux autres alors de s'habiller comme bon leur semble au nom de ce même droit et de cette même liberté prétendue.
La question du port du niqab dans nos établissements éducatifs a constitué un problème épineux qui a divisé l'année dernière l'opinion des Tunisiens, entre défenseurs et détracteurs. A la faculté des Lettres de la Manouba comme à celle de Sousse, les étudiantes et les étudiants ont vécu des jours difficiles en raison des sit-in à répétition et des actes de violence qui s'y sont produits. Dans les lycées aussi, le niqab a fait son apparition, et la polémique y était d'actualité, même si elle n'avait pas atteint la même ampleur ; la tension était vive en raison des dissensions criardes qui opposaient la majorité des professeurs aux autres, sympathisants du voile, généralement adeptes du courant islamiste qui ne voyaient aucun mal à accepter des élèves portant le niqab en classe. En l'absence d'une volonté politique de trancher définitivement au sujet du port du niqab dans nos établissements éducatifs, la polémique risque fort bien de refaire surface, de diviser davantage les Tunisiennes et les Tunisiens et de creuser l'écart, dans ce contexte de malaise et de mal être exceptionnellement difficile que connait notre pays.
Nos deux ministres, tant de l'Enseignement Supérieur que de l'Education, qui n'ont rien fait pour calmer les esprits, préférant laisser les protagonistes s'entredéchirer, sont appelés à réagir, à assumer souverainement leur responsabilité en décrétant l'interdiction du port du niqab dans les salles des cours. Tout plaide en leur faveur : aucune loi, ni religieuse, ni morale, n'exige de la femme le port de cet accoutrement avilissant et réducteur ; pédagogiquement, les conditions de communication sont entachées d'anomalie pénalisante à même de compromettre une meilleure transmission du savoir; les troubles et les actes de violence ayant perturbé le déroulement des cours l'année dernière ne sont maintenant que pour les inciter à la réaction et à la prise de mesures idoines salutaires, tant attendues par la majorité écrasante du peuple.
De grâce, Messieurs les ministres, soyez à l'écoute des doléances des enseignants, qui se sentent abandonnés et trahis par l'autorité de tutelle face à ce phénomène nouveau inquiétant. Les parents exigent que leur progéniture étudient dans des conditions de sécurité et de stabilité, non de heurts incessants et de ruptures à répétition des cours, et ils attendent de vous que vous les rassuriez en reprenant le contrôle de la situation dont on a l'impression, à vrai dire,qu'elle vous échappe.